Vous êtes ici

L’Afrique a la danse dans la peau
Continent de culture, de rythme et de corps, l’Afrique invente sa danse contemporaine

Entre tradition et modernité, la danse contemporaine africaine trouve aujourd’hui sa place dans le paysage international.

Des festivals lui donnent de plus en plus de visibilité, jusqu’à lui consacrer une programmation complète du 1er au 16 Juin 2021, à la Biennale de la Danse de Lyon.
Les danses contemporaines cherchent à déconstruire les codes de représentation de nos sociétés : elles jouent sur les sons, les espaces, les corps, pour venir bouleverser nos attentes et faire surgir des émotions, dénoncer des situations. La danse dite contemporaine trouve ses origines aux Etats-Unis puis en Europe dès le début du XXe siècle.
En Afrique, la danse contemporaine se fait connaître par les spectacles de chorégraphes occidentaux au travers des festivals internationaux. Les pays du continent ne seront pas tous perméables à ces expressions. Le phénomène émerge d’abord dans les pays de l’Afrique francophone puis se développe ensuite dans les pays de la centre Afrique et du sud, pour atteindre, depuis une dizaine d’année, les pays de l’Afrique du Nord et du Maghreb. La danse contemporaine africaine a grandi avec les mouvements de ses traditions, à partir d’une gestuelle copiée sur l’occident et a réussi avec succès à se les approprier pour se construire sa propre identité.

L’Afrique Danse

La danse en Afrique fait partie de la culture, elle accompagne chaque étape de la vie des hommes : naissance, mariage, funérailles, rite de passage, jeu, célébration. Pendant quelques décennies c’est cette image de la danse africaine que nous connaîtrons à travers les danses traditionnelles véhiculées en Europe. L'appellation « danse traditionnelle » caractérise l’ensemble des danses collectives d’origine rurale et porteuses d’identités régionales (sur le continent africain, 80% de la population est rurale). Elles sont ritualisées et sexualisées. Les régimes politiques des années 1980 s’empareront de ces danses en les institutionnalisant dans les grands ballets africains. Malheureusement, en se résumant à des danses folkloriques, elles perdent progressivement leur sens : une danse de tradition, transposée sur une scène, est rapidement dépossédée de son identité.

C’est au début des années 1990 que l’on voit apparaître de nouvelles pratiques de danse. Entre danses traditionnelles et danses urbaines, la danse contemporaine africaine va émerger et questionner sa propre légitimité.

 

 

L’émergence d’une nouvelle forme de danse

La rencontre avec des chorégraphes et danseurs occidentaux suscite l’intérêt de certains danseurs africains et ouvre de nouvelles perspectives à la fois institutionnelles et financières. Comme Robyn Orlin, certains partent se former aux Etats-Unis, d’autres préfèrent l’Europe comme Dada Masilo. Beaucoup de pionniers de cette nouvelle expression sont des femmes qui ont inventé un langage et conquis la scène internationale. Les danseurs africains vont être sollicités en Occident pour enseigner la danse africaine à des amateurs et à des professionnels, mais pour autant aucune proposition ne leur est faite témoignant d’une reconnaissance de cette création : pas de théâtre ou de vrai lieu de présentation.

Des rencontres chorégraphiques africaines à la reconnaissance internationale

Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, résume les objectifs de créativité de la danse africaine : « s’enraciner dans les valeurs de la négritude pour s’ouvrir aux valeurs des autres cultures, faire une danse nouvelle negro-africaine mais sentie, goûtée par les hommes de toutes les civilisations parce que participant à l’universel. »

Un lieu de formation manquait. Germaine Acogny prend la direction de l’école Mudra-Afrique. Créée en 1977 à Dakar par Maurice Béjart et le président Senghor, l’école a pour vocation de redonner à la danse africaine sa vitalité. Grâce à son travail, l’école forme une nouvelle génération de danseurs.

L’ouverture d’une école de danse à Toubab Dialaw dans la banlieue de Dakar en 1998 puis d’un Centre international de l’Ecole des Sables dès 2004 permettent à Germaine Acogny de poursuivre sa démarche de transmission.

Il fallait un lieu de scène et de rencontre artistique pour permettre à ces jeunes chorégraphes d’émerger. C’est le rôle que vont jouer les Rencontres chorégraphiques. Initiée par Alphonse Tiérou, la première édition a lieu en 1995 à Luanda (en Angola). Ce festival-concours sélectionne des compagnies de différentes régions du continent qui sont jugées puis primées par un jury international regroupant des experts européens et africains. Il devient un véritable laboratoire. Depuis une dizaine d’éditions le festival triennal Danse, l’Afrique danse poursuit cette vocation.

Dans les années 2000, une dynamique sans précèdent se confirme. La danse africaine fait réagir. Des chorégraphes occidentaux auditionnent pour leur compagnie des danseurs africains, Salia Sanou et Seydou Boro intègre ainsi la compagnie Mathilde Monnier. La peur d’une institutionnalisation de la danse contemporaine occidentale suscite l’envie de se tourner vers ce continent peu pollué par les codes classiques de la représentation. 

 

 

 

La danse contemporaine africaine, c’est la danse des jeunes danseurs africains qui vivent dans les villes africaines et qui gardent leur singularité grâce à leur rapport à la société traditionnelle africaine - Alphonse Tiérou

Dompter la tradition « Si tu ne sais pas où tu vas, regardes d’où tu viens » - Xavier Orville (écrivain martiniquais)

Avec une liberté de ton et de geste, les chorégraphes africains s’inspirent de thématiques fortes à la résonnance universelle. Très influencée par la danse occidentale, les premières créations prennent des formes spécifiques. Consciemment ou pas, elles répondent aux représentations d’un certain visage de l’Afrique, la vie urbaine, le « bordel » africain, les souffrances de la modernité, le sexe ou la violence. Les chorégraphies sont ainsi fondées sur une hybridation originale entre une danse codifiée et une vision particulière de l’Afrique.

Germaine Acogny, consciente des différentes traditions chorégraphiques ouest-africaines, souhaitait créer une grammaire gestuelle inédite qui soit en mesure de traduire « l’essence » des différentes danses. Élément essentiel de son identité artistique (et de son identité tout court), la tradition devient une matière première qu’il est possible de mélanger à d’autres sources. La chorégraphe Irène Tassembedo en est convaincue, un danseur africain est contraint de partir de « sa base », la danse traditionnelle, pour créer : « Jamais je ne vais la jeter parce que sinon je n’existe pas ».

Être reconnu pour son identité gestuelle

La jeune génération menace de faire table rase du passé, et de rejeter la richesse de la tradition séculaire. Formés selon une logique de la singularité mettant l’accent sur la personnification des gestes et l’intériorité du danseur ils veulent définitivement déconstruire l’image de la danse traditionnelle et exotique. Ils ne veulent plus se définir par leurs origines et refusent un carcan racial, d’une origine ou d’un continent. La danse est citoyenne du monde, elle a des choses à dire de notre humanité.

Les danseurs et danseuses ont fait de leur corps un langage qui parle de tout un continent. L’histoire, leurs histoires nourries de traditions les poussent à réinventer des formes d’expression puissantes, poétiques et sensuelles. À travers la dance s’exprime une volonté de réappropriation. Réappropriation par les africains de la représentation de l'Afrique. Dire les rapports de forces, sortir des stéréotypes, et inventer !

 

 

Quelques figures de la danse contemporaine africaine

Germaine Acogny, née au Bénin, (1944)

Danseuse, chorégraphe sénégalaise elle a consacré sa vie à promouvoir la danse contemporaine africaine. Directrice de l’école Mudra-Afrique pendant cinq ans, elle met au point une technique de référence qu’elle synthétise dans un livre : Danse Africaine (1980) et passe sa vie à faire émerger la danse contemporaine de son continent. Récompensée par un Lion d'or à Venise en 2021, « la mère de la danse contemporaine africaine » a révolutionné son art. Elle croit dans la capacité de la danse à changer la vie des gens.

Robyn Orlin, née à Johannesbourg en Afrique du Sud (1955)

Après s’être formée à Londres puis aux Etats-Unis, c’est en 1980 à Johannesbourg que Robyn Orlin débute sa carrière. Surnommée en Afrique du Sud « l’irritation permanente », ses spectacles sont multiformes et mélangent vidéo, arts plastique, théâtre, danse. Ses thèmes de prédilection : la condition féminine, la discrimination raciale, les clichés du genre chorégraphique d’Afrique du Sud et les drames de son pays, apartheid, sida.  Elle n’hésite pas à faire participer les spectateurs et interagir avec eux.

 

 

Dada Masilo, née à Soweto en Afrique du Sud (1985)

Elle débute son apprentissage à l’âge de onze ans. A 19 ans elles se forme pendant deux années à l’école P.A.R.T.S. de Bruxelles. A l’issue de cette formation, elle repart en Afrique du Sud et commence à créer ses propres œuvres. Le National Arts Festival lui passe commande de trois pièces : Roméo et Juliette (2008), Carmen (2009) et Swan Lake (2010). Depuis 2012, ses pièces tournent à travers toute l’Europe. Pour l’inauguration de la Biennale de Lyon en 2014, Masilo reprend sa Carmen.

Dada Masilo est reconnue pour son agilité et sa vivacité en tant qu’interprète. Elle aime les classiques auxquels elle mélange habilement des techniques de danse et des genres musicaux, des partitions originales de compositeurs et des interprètes du XXe siècle.

Salia Sanou et Seydou Boro, nés au Burkina Faso, (1969 et 1968)

Ce sont les deux chefs de file du mouvement de la « danse contemporaine africaine » au Burkina Faso. Après une longue collaboration avec la chorégraphe française Mathilde Monnier, les deux chorégraphes, aujourd’hui reconnus à l’échelle internationale, ont fondé en1995 leur propre compagnie, Salia nï Seydou, ainsi qu’un festival dédié à la création chorégraphique à Ouagadougou.

Pour eux, la danse africaine ne doit pas se limiter à reproduire les formes traditionnelles. Pas plus qu’elle ne doit se plier aux diktats des modèles occidentaux. Ne pas en rester à la tradition ne signifie pas non plus la refuser.

 

Pour les rencontres de la danse de Bamako en novembre 2010, le chorégraphe français Angelin Preljocaj confirme l’envol de la danse contemporaine africaine : « elle s’intéresse aux questions sociales, au politique, à l’économique, à l’urgence du quotidien, même si elle part de la tradition ; ce n’est plus comme avant du recyclage de la tradition pour la maquiller de modernité. »
La danse contemporaine a réussi sa pleine émancipation. Elle a su ajuster son rapport à la tradition et son histoire du corps. Elle s’est créé sa gestuelle. Elle ne s’embarrasse plus des codes occidentaux en essayant de ressembler à ce qui existe. Elle crée ses propres esthétiques avec des créations originales.

Pour aller plus loin

Vignette du document Afrique danse contemporaine

Afrique danse contemporaine

Sanou, Salia 1969 - ...
Vignette du document Robyn Orlin, de Johannesburg au palais Garnier

Robyn Orlin, de Johannesburg au palais Garnier

Philippe Lainé Et Stéphane Magnant (Scénario)
Vignette du document Africultures. 42, La danse africaine contemporaine

Africultures. 42, La danse africaine contemporaine

Vignette du document Africultures. 52, Création occidentale : l'empreinte africaine

Africultures. 52, Création occidentale : l'empreinte africaine

Chalaye, Sylvie
Vignette du document Les  Afriques : 36 artistes contemporains

Les Afriques : 36 artistes contemporains

Sultan, Olivier 1964 - ...