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Le Bleu au Coeur

 

Vincent Van Gogh, Nuit étoilée, Musée d'Orsay, domaine public

Vincent Van Gogh, Nuit étoilée, Musée d'Orsay, domaine public

 

 

Il y a les jours où il y a de l’orage dans l’air, mais également de la pluie ou de la neige, bien nécessaires pour la Terre, bien nombreux pour les tempéraments cafardeux, teintant les nues de grisaille. Il y a surtout les autres jours où le ciel se pare de bleu ; c’est ainsi que chacun le représente, le rappelle, le chérit.

 

Un bleu ciel évidemment, dont les nuances sont infinies selon la saison, la température, la latitude, les perceptions de chacun. Un bleu qui est ravivé par les cumulus qui s’y égaient ou lessivé par les nimbostratus et autres altostratus qui y larmoient. Un bleu profond, un bleu nuit quand le soir éteint progressivement les feux du jour, traversé parfois des lueurs opalescentes de la Lune et des étoiles. Indissociables sont donc le ciel et le bleu. Comme sont indissociables le bleu et l’homme.

L'Heure du Bleu

 

Azur, céruléen, cyan, égyptien, outremer, Lanvin, Majorelle, Nattier, de cobalt, de Prusse… Les teintes sont infinies mais quelles que soient les nuances, un fait est certain : sondage après sondage, le bleu demeure la couleur préférée de la population occidentale. Cette hégémonie bleutée est pourtant assez récente ; les temps passés ont longtemps relégué cette couleur assez bas dans la hiérarchie chromatique.  

 

La difficulté à fabriquer cette teinte explique en partie une utilisation assez restreinte au cours de la période antique, à l’exception de quelques usages remarquables dans le monde moyen-oriental, notamment chez les Égyptiens qui semblent avoir maîtrisé l’élaboration du premier pigment synthétique bleu de l’histoire. Partout ailleurs et pendant longtemps, la seule alternative réside dans quelques ressources naturelles, quelques plantes tinctoriales comme le pastel des Teinturiers qui donnent le pastel ou l’indigo, ainsi que des roches comme le lapis-lazuli.   

Bjorn Christian Torrissen, Jardins de la Villa Majorelle, creative commons
Bjorn Christian Torrissen, Jardin Majorelle, cc

 

Méprisé par la Rome antique qui en fait la couleur des Barbares, il faut attendre le Moyen-Âge pour que le bleu soit davantage valorisé. La connotation céleste recommande alors une application de cette couleur dans les représentations mariales pour lesquelles les commanditaires ne rechignent pas aux fortes sommes représentées par ces pigments si rares. Il devient, dès lors, une couleur prisée des élites.  

La conquête du bleu se poursuit au fil des siècles et trouve dans la céramique un terrain créatif de choix. C’est à l’époque Yuan (fin XIIIe – début XIVe siècle) que la céramique bleue et blanche est mise au point en Chine, méthode perfectionnée sous les Ming. Cette céramique constitue la source d’inspiration d’une production moyen-orientale ambitieuse, en Iran d’abord, puis au cœur de l’Empire Ottoman, avec la faïence d’Iznik, dès la fin du XVsiècle, culminant avec la Mosquée bleue d’Istanbul. En Europe, il faut attendre le XVIIIe siècle avec les manufactures de Wedgwood et de Sèvres.  

 

3 détails de faïence d'Iznik, British Museum, domaine public

Trois détails de faïence d'Iznik, British Museum, domaine public

Franz Marc, Das blaue Pferdchen, 1912
Franz Marc, Das blaue Pferdchen, 1912

 

Avec l’ère industrielle et la production simplifiée de pigments synthétiques, en quantité et de couleurs utilisables en extérieur, le bleu triomphe. C’est le temps de la peinture de plein air, où les peintres s’adonnent à des ciels et des mers extravagants, où le bleu s’exprime de manière dynamique et profonde. Les Avant-Gardes consacrent enfin le bleu en l’utilisant de manière antinaturaliste sur des corps ou des animaux pour exprimer leurs émotions. C’est la fameuse période bleue de Pablo Picasso ou l’expressionnisme allemand avec Der Blaue Reiter de Franz Marc et Vassily Kandinsky.

L’art contemporain poursuit sur cette lancée. En 1960, Yves Klein dépose le International Klein Blue, s’appropriant une tonalité de bleu. Dans la vie quotidienne, le bleu se fait omniprésent avec notamment un standard, le blue jean, déformation du bleu de Gênes, utilisé pour teinter les toiles de Nîmes (Denim).  

Le Bleu Roi

Il serait très long de décoder tous les facteurs qui participent de cette suprématie du bleu dans de nombreuses civilisations. Quand l’hindouisme y perçoit un symbole de courage, de vérité et d’infini, en lien avec la couleur du ciel, cette même référence céleste trouve dans le christianisme des déclinaisons liées au culte marial. En France, cette dimension sacrée et divine explique l’appropriation par le pouvoir royal du bleu qui lui confère une dimension régalienne qui ne s’est pas démentie avec l’instauration de la République. Cette symbolique n’est pas qu’hexagonale dans la mesure où de nombreuses entités supranationales la déclinent : le drapeau de l’Union Européenne fait explicitement référence au culte mariale tandis que l’Organisation des Nations Unies déploie sur le terrain des conflits du monde ses Casques Bleus.

L’adhésion semble totale. Cependant, selon Michel Pastoureau, historien spécialiste des couleurs, cet engouement s’avère ambivalent, résultant possiblement d’une préférence ou d’un consensus par défaut, là où les autres couleurs sont davantage clivantes.

 

Yves Klein dépose le International Klein Blue en 1960
Yves Klein dépose le International Klein Blue en 1960, cc

 

Vassili Kandinsky, Blue Painting, 1924

Vassili Kandinsky, Blue Painting, 1924, Solomon R. Guggenheim Museum

 

La Note Bleue

« Le bleu profond attire l’homme vers l’infini, il éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel ». Ainsi Vassily Kandinsky (1866-1944) appréhende-t-il le bleu dans son essai, Du spirituel dans l’art. Développant une théorie des couleurs selon laquelle il affirme que les couleurs font vibrer l’âme humaine, l’artiste prête au bleu des vertus de calme et de profondeur. Des propriétés qui sont d’ailleurs largement partagées avec la société contemporaine, qui recourt au bleu notamment pour la décoration de lieux censés procurer un apaisement, les hôpitaux par exemple.

Kandinsky dépasse cependant cette approche pour justifier, selon lui, combien les couleurs, les formes et les sons interagissent et provoquent cette vibration auprès des êtres vivants. Il considère ainsi qu’une surface bleue produit une sensation d’éloignement, d’un point de vue plastique. Il démontre également que l’association avec d’autres couleurs ou formes lui fait perdre de son intensité ou lui confère un sentiment de douleur très profond. Faut-il rappeler à cet égard que le blues est à l’origine le mode d’expression des esclaves noirs exploités dans les champs de coton américains tandis que les jazzmen font retentir la note bleue.

Car c’est le paradoxe du bleu que de représenter la peur, la détresse, le spleen, du vague à l’âme tout en étant la couleur du ciel, ouvrant ainsi la voie des airs vers l’espoir et la liberté.

 

50 nuances de bleu

Vignette du document Bleu : Histoire d'une couleur

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Pastoureau, Michel 1947 - ...
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Kandinsky, Wassily 1866 - 1944
Vignette du document Ecrits complets. 3, La Synthèse des arts

Ecrits complets. 3, La Synthèse des arts

Kandinsky, Wassily 1866 - 1944
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Kandinsky et le "Cavalier bleu"

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Vignette du document Vassily Kandinsky : bleu de ciel

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Vignette du document Le  ciel comme atelier : Yves Klein et ses contemporains. exposition, Metz, Centre Pompidou-Metz, 18 juillet 2020-1er février 2021

Le ciel comme atelier : Yves Klein et ses contemporains. exposition, Metz, Centre Pompidou-Metz, 18 juillet 2020-1er février 2021

Vignette du document Yves Klein : l'aventure monochrome

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Nattier, peintre de la cour de Louis XV

Nolhac, Pierre de 1859 - 1936