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Écrivain à 3 Temps
Corinne Royer et Jean-Michel André

Samedi 3 décembre 2022
à 15h
Pour réécoutez la rencontre entre Corinne Royer et Jean-Michel André

Portraits de Corinne Royer et Jean-Michel André

 

Pour terminer ce cycle d’Écrivain à 3 Temps, les Médiathèques de Roannais Agglomération ont reçu le photographe Jean-Michel André dont le dernier projet Borders (2021) a particulièrement marqué Corinne Royer. La rencontre, accompagnée de la projection des photographies de la série, a permis d’intéressants allers-retours entre les mots et les images.

Diplômé de l’école des Gobelins et auteur de plusieurs séries photographiques comme Maroc épuré (2009), Dos à la mer (2011) ou encore L’autre pays (2015), Jean-Michel André interroge à travers ses créations la notion de territoire et de circulation. Les paysages sont omniprésents au sein de son œuvre ainsi que le thème de la place des hommes dans ces espaces naturels ou urbains.

Ce qui m’anime dans l’art en général et dans la photographie en particulier c’est le fait de bousculer les certitudes et d'insérer le doute, d’amener le regardeur à une forme de réflexion, au partage et au dialogue - Jean-Michel André

 

Ce que je recherche en littérature il l’a atteint en photographie - Corinne Royer

Frontières, exils : des thématiques communes

Corinne Royer a choisi d'inviter Jean-Michel André pour cette ultime rencontre, sa dernière série photographique ayant été un véritable coup de cœur. Plusieurs éléments de Borders l’ont immédiatement marquée, à commencer par la concordance des thèmes avec son dernier roman Pleine terre dans lequel nous suivons un agriculteur fugitif. Sa cavale, qui va durer plusieurs jours, ainsi que les moments de communion avec les paysages et la nature, rejoignent les sujets abordés dans la série. Le travail du photographe permet d’aborder les thèmes de l’exil, de la fuite, des frontières puis de la renaissance avec une certaine lumière.  De plus, Corinne Royer est fascinée par l’absence des hommes, une forme d’épure qu’elle dit rechercher en littérature car selon elle "l’absence révèle la présence de ces fugitifs", mais aussi par la capacité de l’image à générer des voix et des présences.

La démarche de Jean-Michel André repose sur une vision poétique et politique du territoire et interroge à la fois ses limites, sa mémoire et ses évolutions. "l’exil est quelque chose qui fait partie de mon histoire personnelle, familiale". Selon lui, les frontières sont à la fois réelles et imaginaires, elles sont géographiques et mentales. Cependant ce sujet n’est pas abordé de manière "frontale", son travail va à l’encontre du pathos et du spectaculaire qui sont souvent diffusés par les médias.


Extrait de la rencontre avec Corinne Royer et Jean-Michel André

 


©Jean-Michel André - Borders

 

Des mots aux images et réciproquement

Le projet d’édition du livre Borders a été réalisé avec l’écrivain français d’origine congolaise Wilfried N’Sondé, auteur de six romans publiés chez les éditions Actes Sud. Leur correspondance leur a permis de se "nourrir mutuellement", les photographies ont inspiré des thèmes d’écriture à l’auteur, puis ces écrits ont permis la réalisation de nouvelles photographies. Le projet est né la veille de l’évacuation de la jungle de Calais puis s’est poursuivi sur d'autres territoires en France et à l’étranger, notamment en Espagne, en Italie, sur l’île de Lampedusa et en Tunisie. Jean Michel André précise accorder beaucoup d’importance à l’écrit : “je me nourris de livres pour construire une série photographique”. En ce qui concerne la réalisation de Borders, il a beaucoup lu, et notamment des recherches de l’anthropologue Michel Agier, spécialiste de la question des frontières et des réfugiés, mais aussi des romans comme Frères migrants de Patrick Chamoiseau ou encore Eldorado de Laurent Gaudé.

Corinne Royer souligne la synergie entre les textes et la photographie, un véritable dialogue est installé entre le texte et l’image : "l’un parle avec l’image, l’autre avec des mots". De plus, l’absence de temporalité et de lieu mobilise activement l’imaginaire du lecteur selon elle. Jean Michel André précise : "mes photographies ne sont pas légendées car justement avec Wilfried N’Sondé nous avons voulu gommer la carte". Le lieu importe peu selon lui car "ce projet a une dimension universelle", même s’il précise que les espaces sélectionnés ne sont pas anodins car ils ont été pour la plupart traversés par les exilés.

Des paysages et des êtres vivants

Dans Borders, "la présence humaine est quasiment insignifiante", "les personnages sont perdus dans le paysage". Cependant quelques portraits, ayant été réalisés selon un protocole précis sont présents. Ceux-ci ont été effectués en clair-obscur dans les forêts que ces exilés ont pu traverser. La lumière plongeante permet d’éclairer leurs visages et de laisser le reste dans la pénombre afin d’évoquer la nuit et sa dualité entre rêve et peur, mais aussi le fait qu’ils doivent continuer à se cacher. La lumière sur leurs visages démontre leur détermination, l’espérance et la résistance. "Si je ne retenais qu’un mot de toutes ces rencontres ce serait détermination".

Quant aux animaux, ceux-ci sont traités comme des éléments de la nature : "je voulais que le vivant ne soit pas uniquement incarné par la nature et l’homme mais aussi par les animaux, pour ce qu’ils représentent". Les oiseaux font penser à la liberté et à la migration, mais ils peuvent également être de mauvais augure, un autre exemple de dualité traité par le photographe. Corinne Royer souligne que ceux-ci sont présentés dans des situations ambiguës : "l’oiseau noir sur le ciel blanc, Est-ce qu’il chute ? Est-ce qu’il s’élève ?".  Le spectateur peut percevoir à la fois une situation d’espoir ou de désespoir en fonction de son interprétation. Elle précise également : "mon interprétation a été de voir l’homme partout". Ces animaux sont-ils palliatifs aux hommes que l’on voit peu ? Jean-Michel André explique : "A Lampedusa j’aurais pu retenir des photos spectaculaires mais j’ai préféré retenir cette photographie des poissons qui pour moi a une symbolique très forte". Ces poissons tournent en rond en référence aux migrants qui continuent à mourir par milliers aux abords de l’île. Le photographe continue : "les paysages sont beaux mais il y a une tension, on sent que le danger est palpable, pareil pour les animaux".

La temporalité aussi est un élément important, on passe par toutes les saisons et sa lenteur fait écho au parcours des réfugiés. Borders est perçu par le photographe comme "un recueil photographique composé de fragments de paysages, de textes et de portraits". Tout au long de son livre, il témoigne de la volonté de casser la linéarité pour représenter au mieux le parcours de ces émigrés "composé d’embûches et de vécus tragiques". Pour se faire, certains paysages ont été disposés sur des doubles-pages, d'autres sont isolés pour imposer un temps de silence et d’attente et parfois il est nécessaire de tourner le livre pour les voir. Jean-Michel André voulait que "les portraits soient à l’abri des regards pour respecter la pudeur de ces personnes".

 


Borders - Jean-Michel André - Pleine terre - Corinne Royer

 

Beaucoup de photographies de Borders ont été réalisées en surexposition pour avoir un rendu pâle, proche du mirage et du rêve. Les observateurs sont perdus, ce qui résonne avec le sujet. Jean-Michel André dévoile s’être imposé une contrainte qui était d’avoir uniquement des ciels blancs ou noir pour "avoir une unité" et que le public n’ait pas de repères. Certaines photographies ont également été réalisées en sous-exposition "pour évoquer la nuit pour ce qu’elle comporte de dramatique, de tragique". Les photographies ont été réalisées à la fois en numérique et en argentique : "la technique il faut la connaître mais il ne faut pas qu’on la voie".

En faisant dialoguer littérature et photographie, Corinne Royer et Jean-Michel André ont exploré, le temps d’une rencontre, le lien entre ces deux arts qui se complètent. Les thèmes communs à leurs œuvres respectives ont également été sujets d’échanges constructifs qui ont permis de mettre en lumière le procédé créatif de chacun. Enfin, Jean-Michel André a évoqué son prochain projet, Chambre 207, qui sera proche de l’autofiction et dans lequel l’écriture aura une place importante, puisqu’il s’agira d’un travail de mémoire en lien direct avec son histoire personnelle.
Rencontres littéraires
Médiathèque de Roanne