Vous êtes ici

Qui a peur du Grand Méchant Loup ?
S’il ne devait en rester qu’un ce serait celui-ci. Il a nourri l’imaginaire des petits et des grands. Sieur le loup continue de fasciner, génération après génération.

 

Ville de Paris / Bibliothèque Forney / Roger-Viollet

Ville de Paris / Bibliothèque Forney / Roger-Viollet

 

Le loup fait partie de notre quotidien et nous le convoquons au gré d'expressions courantes : un froid de loup, avoir une faim de loup, se jeter dans la gueule du loup, être connu comme le loup blanc... toujours avec un parfum de danger qui flotte autour de lui.

Un parfum qui nous envoûte. Un parfum qui repousse. Alors, promenons-nous dans le bois, en espérant que le loup y soit... Et si le loup y était, nous mangerait-il ? Et aurions-nous envie d'être cette proie au risque d'être dévorés par le loup ?

Loup, y es-tu ?

Oui, le loup y est, et depuis des siècles tant il représente une figure de l'imaginaire collectif. Les dents et les griffes, acérées et redoutables. Les yeux perçants. Le mouvement, sinueux et instable. L’obscurité de la forêt ou de la nuit. Le noir ou le gris comme couleurs de référence. À quatre pattes ou agissant de manière anthropomorphe. Le loup est le symbole de la force brutale primitive, de la sauvagerie quand son animalité est soulignée. Il n’est qu’à faire référence à la bête du Gévaudan. Ce caractère essaime bien au-delà de la seule littérature enfantine ou des récits populaires : en 1967, la chanson Les loups sont entrés dans Paris de Serge Reggiani évoque pour beaucoup l'inquiétante arrivée des forces nazies dans la capitale.

 

Il est un fait que les intentions du loup sont rendues plus cruelles quand celui-ci prend des caractères humains. À travers cette dernière dimension, il suscite l’inquiétude, représente le danger, la séduction, la cruauté. Il est celui qui agresse, qui trompe, qui terrorise. C’est bien ce caractère qui en a fait l’archétype du Grand Méchant Loup. Celui qui s’attaque à Mère-Grand et au Petit Chaperon rouge, celui que met régulièrement en scène La Fontaine, celui qui d’un coup de mâchoire punit l’effronterie de Blanchette, la chèvre de Monsieur Seguin de Daudet. Il demeure le symbole du châtiment qui attend tous ceux n’agissant pas avec la prudence requise, allant à l’encontre des recommandations des parents et transgressant les interdits.

 

Un drôle de loulou

Depuis près de 50 ans, la littérature tend cependant à distordre cette évocation première du Grand Méchant Loup. Des études se sont penchées sur ce retournement. Certes, il y avait bien eu de manière ancestrale, le Roman de Renart pour mettre en scène un Ysengrin beaucoup moins redoutable que prévu, ridiculisé par le goupil. Des variations autour du Petit Chaperon rouge ou des Trois petits cochons ont délesté progressivement le loup de sa panoplie féroce pour lui conserver son seul rôle représentatif du mal. Chez Philippe Corentin, le loup conserve la voracité mais son ineptie déjoue tous les projets malfaisants.

Depuis les années 1980, il connaît de nouvelles turpitudes : il devient sociable avec Held & Rosy et bien intentionné avec Docteur loup d’Olga Lecaye. Il est objet de dérision avec Au loup tordu ! de Pef ou Le loup, mon œil ! de Susan Meddaugh. Il connaît enfin à son tour la douleur, tour à tour agressé (La petite fille et les loups, Loup tambour et Lulu Majorette) et souffre de la peur qu’il suscite.

 

 

Le Petit Chaperon Rouge par Gustave Doré

Le Petit Chaperon rouge sait-il à quoi il s'expose en se mettant ainsi au lit ?
Source Gallica.bnf.fr/BnF

Quand on parle du loup, on en voit... 

... la suite pourrait paraître grivoise. Elle traduit pourtant parfaitement toute l'ambiguïté de la figure du loup, si attachée à l'univers enfantin et dans le même temps si ouvertement évocatrice des pulsions les plus bestiales. Et quand les enfants n'y perçoivent que le message apparent, les adultes se troublent ou rient des sous-entendus. L'interprétation de la composante sexuée du loup dans les contes et autres récits est parfois sujet à débat. Elle est néanmoins tellement intégrée aux codes qu'elle aboutit à des expressions populaires consacrées encore fréquemment utilisées pour l'entrée dans la vie sexuelle. Loin du poétique "déflorer" ou du très prosaïque "dépuceler", "voir le loup" exprime à merveille le parfum d'interdit, mélange d'animalité et de séduction.  

Bien que très inspirés par la bestialité du loup, les artistes ne rechignent pas à explorer cet autre versant équivoque. Et ce n'est pas nouveau. Ainsi, qui n'entreverra pas avec malice les illustrations de Gustave Doré où Le Petit Chaperon Rouge entre dans le lit mi-terrorisé, mi-hypnotisé par Mère-Grand alias le Loup ? Dans Les Saltimbanques, Louis Ganne met en scène la bergère Collinette, ignorante de l'amour, qui un jour au loup la pauvrette laissa son mouton manger. Les pipeaux et la musette la faisaient ailleurs songer. Elle pleura, la fillette mais bien loin était le loup, frouou, frouou, Collinette avait vu le loup. Plus près de nous, et dans un registre autrement plus décapant, Tex Avery fait de son loup une bête de sexe, que la moindre pépette allume au quart de tour.

 

Par delà toutes les peurs, toutes les projections et les fantasmes, la figure du Grand Méchant Loup reste ultramoderne. Rien de surprenant dès lors qu'il ait été tout particulièrement approprié par l'univers de la publicité. Quand un célèbre chocolatier joue au début du XXe siècle d'un Grand Méchant Loup dompté dans ses instincts carnassiers par un Petit Chaperon Rouge moins innocent qu'escompté, ce même Chaperon Rouge, ultra glamour cette fois, amadoue à la fin du XXe siècle son petit loup à grand renfort de parfum

Autres temps autres moeurs... Et si désormais, à l'image de ce Chaperon Rouge libéré, nous surmontions nos peurs ancestrales. Et si, finalement, c'était nous qui mangions le loup ! Houou, Houou ! Nous n'aurons plus jamais peur du loup !

Loup - gravure du Rijskmuseum

Loup. / Wolf. / Lupo, firma Jos. Scholz, 1829 - 1880
Rijksmuseum