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Les succès musicaux français à l’export
D’Edith Piaf à Angèle, des porte-étendards de la francophonie sur la scène internationale

 


Edith Piaf - 1939 - Angèle - 2022

Edith Piaf, Charles Aznavour, Milène Farmer, Daft Punk, Christine & The Queen, Jain, Angèle, Aya Nakamura… du microsillon aux plates-formes de streaming, du Cannergie Hall au festival de Coachella des dynasties de musiciens français rencontrent, dans divers genres populaires (chanson, pop/rock, électro, rap ou r’n’b…), un rayonnement international, y compris dans des pays non francophones.

Cette aura ne fait que s’amplifier, et la langue française n’est pas un obstacle à cette diffusion. Les derniers bilans du Syndicat national de l'édition phonographique montrent que les ventes à l’étranger représentent presque un tiers du chiffre d'affaires de la musique française.

Comment expliquer ces multiples succès hors de l’Hexagone ? Comment ces artistes ont-ils réussi à s’adapter à leurs publics non francophones ? Quels sont leurs facteurs de réussite, leurs schémas de reconnaissance à l’étranger ?

 

Des voix françaises qui (s’ex)portent loin

Si 60 ans après sa mort, Édith Piaf reste populaire dans le monde entier, la Môme de Paname symbolisant véritablement la Femme Française, c’est aussi grâce à sa voix bouleversante, quasi - « surnaturelle ».

Les exemples de chanteuses à voix notables couronnées de succès loin de nos frontières sont nombreux. Ainsi, Mireille Mathieu, à la voix forte et singulière, a vendu avec succès ses albums au Brésil, en Russie, en Corée du Sud, au Japon… Avec son timbre vocal la fois rauque et puissant, Patricia Kaas a été ambassadrice de la chanson française dans une quarantaine de pays. Plus récemment, Zaz, dont la gouaille rappelle Piaf triomphe dans le monde entier. Leurs voix permettent de toucher par le ressenti un auditoire non francophone. Elles traduisent l’émotion universelle des paroles, indépendamment de leur compréhension.

Mais si l’expressivité vocale facilite l’exportation, la conquête des publics étrangers est le plus souvent le fruit de stratégies et d’investissements personnels considérables de la part des artistes.

 

Edith Piaf - La vie en rose - 1954

 

Dalida - Am Tag Als Der Regen Kam - 1959

Stratégies marketing : chanteurs polyglottes et titres adaptés

Pour s’ouvrir une carrière internationale et conquérir de nouveaux publics, dès les années 50 Charles Aznavour se produit et en enregistre dans huit langues.

Par impératif économique, les cachets et taux de royalties du marché français ne suffisant pas à les faire vivre, jusqu’à la fin des années 60, nombre de chanteurs français s’investissent dans une stratégie commerciale visant le marché externe.

Les traductions multiples de titres se généralisent avec les « yéyés ». Les adaptateurs cherchent à rendre les paroles interprétables sur les musiques originales — parfois au détriment de leur sens.

Salvatore Adamo, Claude François et Léo Ferré enregistrent surtout en italien, France Gall et Joe Dassin en allemand. Un « tube » français est repris par un même interprète dans plusieurs langues. « Le jour où la pluie viendra » de Gilbert Bécaud (1957) devient « Am Tag Als Der Regen Kam », chanté par Dalida pour l’Allemagne, et « La luvia por fin vendra » pour l’Espagne. « [C’étaient] des produits d'appel qui permettaient ensuite de vendre [à l’étranger] leurs autres chansons qui, elles, n'existaient qu'en français » (Bertrand Dicale).

Bien avant internet, un marché mondial de la chanson française se dessine.

 

 

À la rencontre du public

Au moment de sa mort, en 2018, de nombreux artistes, parmi lesquels Bob Dylan ou Lizza Minelli, ont témoigné de leur admiration pour Charles Aznavour, preuve de l'immense côte de popularité acquise en dehors de nos frontières par l'artiste aux 1 400 chansons. Pour celui que le Times présentait en 2005 comme l'artiste populaire le plus influent du XXe siècle, devant un certain Franck Sinatra, l'aventure américaine avait déjà commencé plusieurs dizaines d'années auparavant. En 1963 pour être exact, date du premier concert donné par Charles Aznavour, à New York, au sein de la mythique salle du Carnegie Hall. N'ayant pas de producteur à l'époque, il avait payé le prix de location de la salle lui-même. Pour Aznavour, le pari est remporté. La salle est rapidement complète, obligeant l'artiste à rajouter 300 chaises, à même la scène pour accueillir les nombreux curieux attirés ce soir-là.

Ce qu'illustre cette anecdote, point de départ de près de 100 concerts donnés aux États-Unis pour le "French Sinatra", c'est la nécessité d'aller à la rencontre du public pour un artiste cherchant à étendre son influence hors des frontières nationales. Cette idée, c'est celle qui conduira un duo d'artistes français, bien des années plus tard, à révolutionner l'approche de la musique en live.

Charles Aznavour - Take Me Along - Carnegie Hall -1995

 

Daft Punk - Alive - 2007

Avançons dans le temps, nous sommes désormais en 2006 et les parisiens de Daft Punk, décident d'accepter, après de nombreuses années de refus catégoriques, la proposition de Coachella, l'un des plus grands si ce n'est le plus grand festival du monde. Bien sûr, à cette époque, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo sont loin d'être d'illustres inconnus. Leurs deux premiers albums, Homework en 1997 et Discovery en 2001 étaient déjà d'immenses succès, à la fois critique et populaire, mais le groupe avait alors dû faire face à deux semi-échecs, d'abord avec leur album Human After All en 2005 puis avec leur film expérimental Electroma sortie en 2006. Pour les Daft Punk, ce concert est une occasion unique de se repositionner en tant que groupe de premier plan de la scène électro et de réaffirmer la place du duo en tant que chef de file de la French Touch, la vision française de la musique house. En proposant un mix inédit de leur trois albums accompagné d'une scénographie jamais vu jusqu'alors, avec cette pyramide et ces murs de LED qui seront la cause d'une pénurie généralisée dans les magasins américains, les Daft Punk volent la vedette à tous les autres artistes invités cette année là (parmi lesquels se trouvaient Depeche Mode, Massive Attack ou encore Madonna) et attirent près de 40 000 personnes à l'intérieur d'une tente prévue pour en accueillir 10 000. Un véritable succès donc pour ces deux artistes qui ont achevé de faire rayonner le savoir faire de la scène électro française en dehors du territoire domestique, ouvrant les portes de la reconnaissance internationale à de nombreux artistes talentueux comme Justice, C2C, Chinese Man, Ofenbach et bien d'autres.

 

Des concerts, des concerts et encore des concerts...

Cependant, force est de constater que les artistes évoqués plus haut avaient déjà pour point commun d'être confortablement établis sur la scène nationale. La question que l'on pourrait légitimement se poser est donc comment faire quand la fan base potentielle d'un artiste se trouve largement hors des frontières ?

Là encore, pour de nombreux artistes, la réponse passe par la prestation scénique. Pour trouver un cas d'école de cette approche, il faut s'intéresser à la scène des musiques extrêmes, et plus particulièrement à deux frères, qui ont formé en 1996 un groupe de death metal/metal progressif du nom de Gojira. Pour Joe et Mario Duplantier, l'histoire commence par 2 albums, assez bien reçus par la presse spécialisée, mais tout se bouscule avec la sortie de leur troisième album, From Mars to Sirius, distribué en Europe et aux États-Unis. Suite à ça, le quatuor enchaîne les tournées, en Europe dans un premier temps puis en première partie du groupe Children of Bodom lors de leur tournée américaine, ainsi qu'aux côtés de groupes renommés comme Slayer ou Lamb of God durant le Unholly Alliance Tour, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. Les années suivantes sont celles de la consécration pour le groupe, qui vit ses premières programmations dans les plus grands festivals de musiques extrêmes du monde (le Hellfest en France, Tuska Open Air Metal Festival en Finlande ou encore Wacken Open Air en Allemagne) et qui assure la première partie de la tournée internationale de Metallica. Une sacrée consécration pour la formation originaire des Landes, qui est parvenue, en quelques années à se faire une place aux côtés des plus grands nom de la scène Metal.

Gojira - Flying Whales - Bloodstock Open Air 2016

 
Nombreux sont les artistes à avoir fait rayonner la création musicale française bien au delà de nos frontières. Que ce soit via des succès éphémères ou en redéfinissant complétement certains genres, la musique "made in France" a su faire preuve d'inventivité pour s'exporter. Désormais, c'est du côté des réseaux sociaux qu'il faut aller chercher les nouvelles révélations qui fleuriront hors de l'hexagone. Du duo Rock The Limiñanas, découvert grâce à Myspace, à l’ambassadrice de la pop urbaine Aya Nakamura (l'artiste française la plus écoutée au monde) il faudrait sans doute un autre article pour évoquer les stratégies et les enjeux qui motivent les artistes à repenser leurs créations en intégrant la réflexion autour des nouveaux médias.