Vous êtes ici

Avec valises et bagages
Tout un monde, toute une vie

 

 

valises

 

Une boîte où l’on garde le nécessaire pour vivre hors de chez soi. Un échantillon, un prolongement, un fragment de notre microcosme. Une valise, en somme… un objet courant, mais pas si anodin. À l’occasion de l’exposition « La valise alarmante », prenons le temps d’explorer l’histoire et les aléas de l'accompagnatrice de nos périples.

Emporter son monde avec soi, un usage immémorial

L’histoire des bagages suit étroitement l’évolution de l’exploration du monde par l’homme. La valise, le bagage, le sac s’adaptent aux usages, aux contraintes, aux possibilités, sont un reflet des différentes sociétés.

L’histoire de la valise est ancienne : le kôsukos de la Grèce antique désigne un sac de voyage léger, de dimension réduite. Les Romains connaissent le saccus scorteus, une sorte de sac à dos, et l’impedimenta, bagage de grande taille que l’on expédie à part.

La valise, quant à elle, vient de l’arabe Waliha et désigne un sac de grain. Le Dictionnaire de Furetière la définit comme « un vaisseau de cuir de figure ronde et oblongue qui se ferme avec une chaîne ou un cadenas, et qui sert à transporter les habits et les hardes d’un cavalier sur la croupe d’un cheval ». Elle est en usage dès le XVIIe siècle.

Auparavant, le bagage a pu emprunter d’autres formes : le coffre, plus sédentaire (il est l’ancêtre de l’armoire), évolue en malle, destinée dès le XIIe aux voyages. En cuir et bois, avec des renforts de métal, des serrures compliquées, les malles sont recouvertes de cire ou de poix. On en trouve de toutes formes, entre le meuble et le bagage, telles le coffre-dot que la jeune femme recevait lors de son mariage, orné des blasons des familles, qui demeurait dans la chambre des époux et suivait très souvent les veuves au couvent.

A partir du XVIIe siècle, le voyage, jusqu’alors utilitaire (croisades, guerres, commerce, activité des artistes et savants, explorations), prend une forme touristique et le bagage acquiert progressivement ses lettres de noblesse. La valise trouve sa forme actuelle : d’abord 2 parties symétriques s’ouvrant par le milieu avec une poignée, puis un parallélépipède renforcé aux angles et fermé par une sangle. Mais cette forme ne sera pas exclusive : elle se déploiera en autant de variations que de formes de voyages possibles, d’identité des voyageurs, d’usages, du plus utile aux plus futile. Nécessaires de toilette, bibliothèques de voyage, sacs de voyage pour chien, mallette à chaussure, Tea case, malle penderie et bien d'autres encore.

 

la dame à la licorne musée de Cluny
La Dame à la licorne "A mon seul désir", Musée de Cluny. Provenance : flickr

 

 

mary-j-friedrich-1x3rjmykdf4-unsplash_1.jpg
Mary-j-friedrich-unsplash

Transports touristiques et signes d'appartenance

« Toute l’histoire des bagages est directement conditionnée par celle des moyens de transport » écrit Luisa Espanet dans Valises & Compagnie. Les périples à pied, à cheval, par les chemins de terre impliquent des bagages pratiques et peu encombrants faits de toile et de cuir : besaces, balluchons, rouleaux de toile liés. La diligence autorise des bagages plus lourds et volumineux mais dont le stockage s’adapte au fil du temps : les valises des voyageurs sont rangées sous leurs pieds, la disposition sur le toit se révélant trop dangereuse pour le cocher.

De manière plus ambitieuse, l’essor des voyages maritimes autorise et nécessite le développement de bagages d’envergure afin d’accompagner ces longues traversées. C’est en Europe que la bagagerie de luxe se développe, au service des voyages au long cours mais aussi des destinations balnéaires et des prestigieuses capitales. Les maroquiniers et selliers, Vuitton, Lancel, Hermès, Asprey, proposent des ensembles de bagages en vogue jusqu’au milieu du XXe siècle. Un set de voyage classique se compose de plusieurs valises, dont l’unité de base de 60 cm de longueur se décline en variations de différentes tailles, selon un style identique et des matériaux semblables. Pour les destinations plus lointaines, on emporte une malle-armoire. En l’ouvrant, on trouve à droite des tiroirs pour chapeaux, fer à repasser, … à gauche une armoire avec cintres, un boîtier pivotant pour les chaussures.

 

Une telle complexité implique la lecture attentive de manuels divulguant les meilleures techniques pour faire sa valise : objets bien serrés, vêtements délicats placés au fond, méthodes de pliage des costumes, chemises et pantalons, … Ainsi que la manière de la composer : en 1923, l’Encyclopédie La vie pratique décrit le contenu idéal d’une malle-cabine à destination des colonies : «  … on prendra soin de prévoir deux complets veston, du linge de corps en quantité suffisante en fonction du nombre de semaines de traversée. .. Il faudra deux chemises de couleur dont une à faux col, une chemise blanche, toutes non empesées, un caleçon, trois paires de chaussettes en fil ou en coton, quatre faux cols, une cravate noire, trois cravates fantaisie, quatre mouchoirs de poche, un foulard de soie. »

Le bagage devient très vite le marqueur d’une appartenance sociale : lors des croisières et traversées, seules les personnes riches ont le droit de transporter de nombreux bagages. Comme l’écrit Luisa Espanet dans Valises & Compagnie, « les émigrants emportaient tout ce qu’ils possédaient mais devaient laisser la plus grande partie de leurs bagages dans les cales et ne gardaient sous la main qu’une valise en osier ou en carton. » Et pour les voyages d’agrément l’opulence est de mise : « Les voyageurs de grande classe se doivent de posséder un set en crocodile, qui comprend dix malles, six valises, une chapelière, deux porte-bijoux et un nécessaire ». L’intérieur de la malle est souvent en maroquin ou en soie, l’extérieur décoré d’initiales d’or. Et ces bagages d’exception peuvent encore s’agrémenter d’étiquettes publicitaires attestant de son passage dans les hôtels les plus réputés !

 

Hotel room Edward Hopper
Hotel room, Edward Hopper Provenance: Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

 

 

 


Alfonso Goi

 

Le chemin de fer donne une impulsion plus large au développement des articles de voyage : s’agissant de voyager plus léger, la valise prend le pas sur la malle. Mais les aléas des correspondances induisent encore d'avoir recours à un porteur afin de ne pas rater le prochain train. Du mythique Train bleu qui conduit les voyageurs sur la Riviera aux longues traversées vers l’Ouest américain, les Etats-Unis et les pays européens développent une expertise dans la création de bagages adaptés au chemin de fer.

Mais c'est la popularité de la voiture et la liberté qu’elle incarne qui constituent une étape significative. De nouveaux bagages apparaissent, sets de valises conçus pour s’adapter parfaitement aux dimensions du coffre, nécessaires à pique-nique dotés de couverts d’argents, d’assiettes en porcelaine anglaise, de plaids, pour les plus luxueux. En lien avec le développement du camping, le bagage se fait plus pratique et raisonné. On s’éloigne peu à peu du nécessaire de toilette fait de crocodile, de peau de chamois, doté d'un compartiment caché pour les bijoux, recélant des articles d’ivoire et de cristal de Bohême, dont le poids pouvait atteindre jusqu’à 60 kgs… Ou de la malle faite pour contenir les 35 paires de chaussures de la Duchesse de Windsor...

Le voyageur économe

Ces voyages de prestige ont nourri l’art, la littérature et… l’imaginaire. Mais en contrepoint, un voyage plus bohême, aventureux, fantasque se fait jour. On en trouve des témoignages dans les œuvres de Stevenson, Cendrars, mais les origines sont plus anciennes, venues de l’errance artiste, du voyage romantique et fantasmé lus sous la plume de Chateaubriand, Loti, Nerval. Prenons l’exemple du « sac de nuit » de Phileas Fogg dans Le tour du monde en 80 jours : « Pas de malles. Un sac de nuit seulement. Dedans, deux chemises de laine, trois paires de bas ». Le voyage romantisé s’hybride avec les récits d’explorateurs pour inventer un tourisme allégé, synonyme de liberté de mouvement. Le Grand Tour, inventé par les Anglais, devient un parcours rituel des jeunes gens à l’issue de leurs études. Le sac de touriste imperméabilisé apparaît, dans une optique d’un voyage conscient, au plus près de la nature et des autres cultures. L’écossais Stevenson, pour son Voyage avec un âne dans les Cévennes en 1878, s’équipe d’un sac de couchage en peau de mouton qui fait également office de sac de voyage.

Grand voyageur, pourtant des plus mondains, Paul Morand recommande lui aussi pour les cabines maritimes des bagages pratiques : « les grands sacs de toile des marins, dont le fond est renforcé de cuir et dont le haut est percé de trous garnis d’oeillets à travers lesquels on passe une poignée de cuivre fermée par un cadenas. » (Le voyage).   

sac de nuit XIXe siècle
Sac de nuit, France XIXe siècle ©Guy Lucas de Peslouan

 

 

Lit de camp de Savorgnan de Brazza
Lit valise de l'explorateur Savorgnan de Brazza, Alfonso Goi

 

Au-delà de la littérature, il faut reconnaître que les expéditions sont en vogue dès le début du XIXe siècle : tant de zones du globe demeurent encore inexplorées ! Et l’explorateur, comme le touriste ou le globe-trotter, possède sa propre gamme de bagages. Des besaces où consigner échantillons, notes de voyages, des caisses où stocker les outils et matériels des expéditions scientifiques jusqu’aux équipements ultra légers et maniables dédiés aux voyages solitaires contemporains, les possibilités sont vastes. Savorgnan de Brazza utilise ainsi un lit de camp pliable logé dans une mallette-accordéon au cours de ses voyages au Congo et au Gabon. Et le sac à dos devient au XXe siècle l’incontournable des baroudeurs et randonneurs. Le vagabondage comme pratique émerge dans les années 30, perpétué 20 ans plus tard par la beat generation, avec pour maître mot le mouvement et la recherche de la « lecture du monde ». Une pratique qui fera florès.       

 

 

D'autres valises auraient pu être ouvertes au fil de cet article : la valise diplomatique, les malles de spectacle, les bagages égarés, la valise des personnes exilées qui porte un tout autre sens, celui d’une vie emportée, d’un réceptacle où les objets contenus comptent et signifient beaucoup plus qu’un simple usage utilitaire. On terminera sur une note nostalgique, évoquant la valise de noces, sous la plume de Colette dans Claudine en ménage : "Dans le casier inférieur, on a couché mes robes, corsages vides, manches découragées, trois robes simples que je puis garder ici... J'hésite maintenant à soulever chaque pli, où se tapit le passé, où veille la tendre et suppliante sollicitude de celui qui m'a trahie...".

Valises

Vignette du document Valises & compagnie : histoire raffinée du bagage

Valises & compagnie : histoire raffinée du bagage

Espanet, Luisa
Vignette du document L'invention du tourisme

L'invention du tourisme

Boyer, Marc 1926 - ...
Vignette du document Voyageurs : petite histoire du nécessaire et du superflu

Voyageurs : petite histoire du nécessaire et du superflu

Simon, Marie 1966 - ...
Vignette du document Le  cas du sac : histoire d'une utopie portative

Le cas du sac : histoire d'une utopie portative

Vignette du document Le  sac : un petit monde d'amour

Le sac : un petit monde d'amour

Kaufmann, Jean-Claude 1948 - ...
Vignette du document Sacs à main vintage : collections et créations des designers du XXe siècle

Sacs à main vintage : collections et créations des designers du XXe siècle

Fogg, Marnie
Vignette du document Le  tour du monde en 80 jours

Le tour du monde en 80 jours

Verne, Jules 1828 - 1905
Vignette du document Oeuvres

Oeuvres

Bouvier, Nicolas 1929 - 1998
Vignette du document Le  Voyage en France : anthologie des voyageurs européens en France, du moyen-âge à la fin de l'empire. 1

Le Voyage en France : anthologie des voyageurs européens en France, du moyen-âge à la fin de l'empire. 1

Vignette du document Le  voyage en France : anthologie des voyageurs français et étrangers en France, aux XIXe et XXe siècles (1815-1914). 2

Le voyage en France : anthologie des voyageurs français et étrangers en France, aux XIXe et XXe siècles (1815-1914). 2

Vignette du document Les  mots du voyage

Les mots du voyage

Godeau, Jérôme 1955 - ...
Vignette du document La  poésie du rail : petite apologie du voyage en train

La poésie du rail : petite apologie du voyage en train

Roux, Baptiste 1969 - ...
Vignette du document Le  tour du monde : petit passeport pour le voyage au long cours

Le tour du monde : petit passeport pour le voyage au long cours

Tuilier, Romain 1975 - ...