Vous êtes ici

La transmission douloureuse
Réflexion autour des malédictions familiales dans l’histoire

Depuis l’Antiquité, l’Histoire est jalonnée de tragédies familiales aussi fascinantes que dramatiques faisant immanquablement entrer ses protagonistes dans la légende. Les personnages devenus mythiques voient leur destin disséqué par leurs contemporains, depuis les Anciens de la Grèce Antique jusqu’aux paparazzis de la presse à sensation.

Entre coup du sort et reproduction d’un schéma familial contrarié, chacun interprète le malheur qui peut s’abattre sur une famille selon sa propre manière d’appréhender l’existence et les vicissitudes de la destinée. Et si l’anathème, loin d’exprimer une malédiction divine, n’était en fait que la reproduction du roman familial ? L’existence répondrait à une prédestination mortifère qu’il conviendrait de briser. Ainsi point de fatalité, juste une nouvelle déclinaison de l’histoire familiale à écrire.

Au nom du père et du fils ingrat

Les récits mythologiques foisonnent d’histoires familiales complexes qui justifient par le mauvais sort et la vengeance nombre d’alliances et de trahisons dans l’éternelle quête du pouvoir. Tout le panel des tragédies humaines dans leurs aspects les plus sombres y est représenté. La colère des Dieux agit sur plusieurs générations orientant ainsi le destin des protagonistes souvent divins mais bien trop humains.

Dans la mythologie grecque l’imprécation divine est anthropologiquement structurelle notamment par le biais de la colère paternelle lancée contre un fils. Le « mal-dire » des mythes grecs appelle le courroux des puissances divines sur toute une lignée. Comme Œdipe contre ses deux fils Etéocle et Polynice, ou Thésée contre son fils Hippolyte, la liste des maudits mythologiques est longue !

L’exemple des Atrides, descendants d’Atrée, offre un condensé exhaustif de la « malédiction familiale ». cette lignée n’a de cesse de se trahir et de s’entretuer, et s’illustre dans toute une série de meurtres : infanticide, parricide auquel il faut ajouter l’inceste. La famille des Atrides : ou pourquoi et comment sacrifier ses enfants.

Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races !

Au Moyen-Age, la légende veut qu’une malédiction lancée en 1314 par Jacques de Molay, dernier maître des Templiers ait compromis le règne des capétiens.  Alors qu’il se trouve sur le bûcher, il clame son innocence en vain. Il lance une imprécation divine et la malédiction s’abat sur le pape Clément V et le roi Philippe Le Bel ainsi que sur les 13 générations suivantes. Les fameux rois maudits sont tour à tour décimés sans descendance mâle. Louis X, Philippe V et jusqu’à la mort de Charles IV qui achève le règne des capétiens. Il n’est pas sûr que ces souverains aient eu conscience de leur vivant du mauvais sort qui s’acharnait sur eux. Ils entrent dans la légende avec l’œuvre de Maurice Druon (saga publiée entre 1955 et 1977). La malédiction stimule l’imagination plus sûrement que le hasard et les faits historiques.

 

 


Eteocle e Polinice - Giovanni Silvagni

 

 


Portrait pris durant le couronnement d'Élisabeth de Wittelsbach, plus connue sous le surnom de « Sissi », à Budapest le 8 juin 1867

 

Sissi face à son destin

L’histoire de la maison des Habsbourg a elle aussi nourrit l’imaginaire des contemporains de l’époque. Rodolphe d’Autriche, fils de François Joseph et Elizabeth d’Autriche est retrouvé mort avec sa maîtresse dans son pavillon de chasse de Mayerling. Cet évènement concentre la dramaturgie nécessaire au début d’une malédiction familiale efficace. Assassinat ou suicide, la vérité est longtemps demeurée cachée. Sans descendant mâle, la dynastie austro-hongroise se retrouve en péril. Les problèmes commencent. Les seuls candidats au trône sont les deux frères de l’empereur qui meurent soudainement. C’est donc le neveu de François-Joseph, l’archiduc François-Ferdinand qui peut prétendre au règne. Mais son assassinat à Sarajevo le 28 juin 1914 marque l’entrée en guerre de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie, plongeant ainsi l’Europe dans les affres de la Première guerre mondiale.

La mère de Rodolphe, l’impératrice Sissi, participe aussi à la légende noire de la dynastie impériale. Sa personnalité a largement bénéficié d’une image romantique au cinéma, véhiculée par la saga des « Sissi » dans les années 1950. Souffrant d’anorexie et de dépression, l’impératrice Sissi est finalement assassinée en 1898 par un anarchiste italien. Loin de l’image romantique sur pellicule, la sombre vie de l’impératrice contribue à obscurcir la généalogie austro-hongroise.

 

Il n’y a pas de Kennedy heureux

Les déboires germaniques du début du 20e siècle font pâle figure face à liste encore inachevée des malheurs de la famille Kennedy. Cette famille emblématique américaine rassemble tous les ingrédients des grandes lignées. L’ambition, le pouvoir et l’argent imprègnent cette dynastie charismatique et photogénique. Symbole de modernité et de puissance, John Fitzgerald Kennedy, élu en 1960, est le 35e président des États-Unis. Son union à Jacqueline Bouvier participe à son image d’homme moderne. Populaire et glamour, le « fils chéri » de l’Amérique a vu son destin se briser devant le monde entier, marquant le début d’un triste enchainement d’évènements tragiques pour de nombreux membres de sa famille. Devenu une icône plus ou moins fantasmée de l’Amérique des années 60, sa disparition brutale et spectaculaire a éclairé de manière hors norme le destin de toute la famille. La malédiction des Kennedy perdure jusqu’à ces dernières années, puisque les disparitions dramatiques des membres de la famille, souvent fauchés en pleine jeunesse se poursuivent. Inévitable donc de faire l’impasse sur un petit récapitulatif un peu morbide qui agitent ponctuellement les tabloïds…

Cinq ans après la mort de JFK, c’est son frère Bob qui est assassiné durant la campagne électorale de 1968 à Los Angeles.  Témoin de l’assassinat de son père à la télévision le fils de Bob, David, est victime d’un grave accident de voiture.  Il devient dépendant aux médicaments et à l’héroïne, et est retrouvé mort par overdose en 1984 à l’âge de 28 ans. Un autre fils de Bob, Michael, meurt d’un accident de ski à l’âge de 39 ans. En 1999, le fils de JFK, John Kennedy junior, surnommé John John succombe au crash de l’avion qu’il pilotait, au large de Cap Code, accompagné de sa femme et de sa belle-sœur. Vingt ans plus tard, c’est la petite fille de Bob Kennedy, Saoirse Kennedy, qui meurt par overdose à l’âge de 22 ans. Enfin, Il y a 3 ans, une autre petite fille de Bob Kennedy, disparait en mer à bord d’un canoë à l’âge de 40 ans, elle était accompagnée de son fils de 8 ans. Cette liste macabre épargne quelques suicides, maladies incurables et autres accidents des membres collatéraux de l’emblématique famille. Les Kennedy totalisent une somme significative de drames leur conférant le fameux sceau de la malédiction.

 

 


Le président John Fitzgerald Kennedy avec ses enfants, ses neveux et ses nièces.

 


Couverture du livre Aïe, mes aïeux de Anne Ancelin-Schützenberger

 

Aïe mes aïeux !

L’arbre généalogique de JF Kennedy n’aurait surement pas révélé l’éventualité d’un assassinat, cependant on peut s’interroger sur les descendants du clan qui ont parfois développé des troubles du comportement entrainant addictions et suicides.

La psycho-généalogie, discipline née dans les années soixante avec les travaux de la psychologue Anne Ancelin-Schützenberger, établit que nous héritons tous d’autant de gênes que d’inconscient. L’étude de l’arbre généalogique familial et la représentation graphique des familles en un génogramme révèle comment l’individu se construit en fonction de la destinée de ses aïeux. Le génogramme est la représentation graphique d’une famille donnée qui permet au thérapeute de dresser une carte précise de la structure familiale, de mettre en relation le présent avec les événements qui ont marqué l’histoire familiale, les mythes, les règles, et toute la charge émotionnelle transmise entre générations.

Ainsi ces héritages psychiques influencent la vie des descendants, dans leurs choix, leurs rêvent et leurs traumas. L’observation du génogramme de certaines familles révèlent de fameux secrets, des unions incestueuses, des enfants naturels. La répétition de certains prénoms ou dates de naissance font émerger des concordances qui expliqueraient certains de nos comportements. Le leg de traumatismes et non-dits sont autant de fardeaux dont il faut s’alléger pour accomplir sa destinée. Souffrir de ce que l’on n’a pas vécu peux conduire à des dépressions, des addictions et un mal-être profond. De vrais blocages peuvent naître de ces ancêtres fantômes qui laissent des traces dans la généalogie, autant d’héritages toxiques pouvant mener à des souffrances psychologiques plus ou moins graves. Le descendant se trouverait enfermé dans une logique de répétition qu’un lien transgénérationnel néfaste mènerait à reproduire dans un cycle de malheur perpétuel. La connaissance de son arbre généalogique permettrait de se libérer alors d’une sorte de prédestination fatale. Le roman familial pourrait continuer à s’écrire différemment.

L’idée même de malédiction familiale peut être un moyen de se rassurer puisqu’il implique pour commencer d’y croire. Être maudit, c’est peut-être qu’on l’a mérité, donc qu’on peut échapper au mauvais œil par une bonne ligne de conduite. Et si le terme même de malédiction prête à sourire et que cette notion s’approche de la superstition, l’enchainement horrifique des tragédies familiales continue de susciter l’intérêt. La psycho généalogie propose une forme de conjuration au poids des ancêtres, aux non-dits et aux traumatismes familiaux avec pour postulat l’interaction du passé sur le présent et l’influence de présent sur l’avenir. La malédiction serait en fait une affaire de transmission transgénérationnelle dont il faudrait s’affranchir.