Eiffel, la Tour qui domine le siècleRetour sur l’essor de la construction métallique
Au simple nom d’Eiffel, les gens imaginent Paris et son symbole le plus iconique : sa Tour.
Eiffel est aussi devenu un adjectif désignant les charpentes métalliques et autres assemblages d’acier : c’est une construction Eiffel entend-on parfois à la simple vue de chevron et jambage métallique. Entre l’objet et la marque une assimilation s’est faite progressivement. S’il est vrai que l’architecture métallique incarne le symbole de l’architecture du XIXème, elle ne peut être résumée au seul travail d’Eiffel. Car si la Tour Eiffel évoque le symbole d’une époque en pleine croissance, où l’essor industrielle permet de repousser les limites techniques et matérielles, elle représente en réalité son apothéose et son aboutissement en cette année 1889, fin d’un siècle, fin d’un monde.
Retour sur l’essor de la construction métallique à l’occasion du centième anniversaire du décès de Gustave Eiffel pour mieux comprendre pourquoi cette tour de Babel et son créateur ingénieur de génie se sont imposés comme la représentation de l’architecture du siècle !
Un monde nouveau en pleine expansion
France Angleterre et l’invention de l’exposition universelle
En pleine expansion économique et industrielle les nations veulent rendre visible leur développement. Les expositions universelles deviennent cette vitrine sur le monde et représente la gloire de la Nation. C’est une célébration spectaculaire des productions industrielles et artistiques de chaque pays.
Pour accueillir les expositions, des bâtiments éphémères sont commandés : ils doivent être construit en un laps de temps très court, pouvoir être suffisamment grands pour accueillir tous les exposants. Ils sont ensuite voués à la destruction. Ces exigences auront plusieurs conséquences : l’obligation de la vitesse de réalisation nécessitera une standardisation des modules de construction, le système de concours suscitera la créativité et l’audace d’artiste et d’ingénieur pour la réalisation de forme nouvelle.
En 1851, le Crystal Palace de John Paxton marque les esprits. L’association d’une technologie novatrice (utilisation du fer et du verre) et d’une typologie d’inspiration traditionnelle (serres) émerveille par son gigantisme. La standardisation d’un même module répété à l’identique a permis une fabrication entière en usine et une rapidité de construction inégalée.
Pour l’exposition de 1855, Paris construit le Palais de l’industrie d’Alexis Barrault. Celle de 1878 envahit tout le champ de Mars avec de grandes halles en fer.
Les expositions universelles n’auront de cesse de rechercher une construction d’apogée en hauteur et en largeur. En 1889, Paris offrira cette apothéose avec la Galerie des Machines de Dutert (large de 115m) et la Tour Eiffel (haute de 300m).
La révolution de l’architecture métallique : symbole de modernité
Le poids de l’Académie et de ses canons limite la créativité des architectes qui oscillent à travers différentes inspirations : antiquité, gothique, classique et les superposent parfois sans jamais vraiment s’en affranchir. Il y a une rupture entre l’approche d’un architecte considéré comme l’artiste et l’ingénieur considéré seulement comme un producteur d’éléments et de produits répétitifs. Pourtant la civilisation va s’appuyer sur le potentiel de l’industrie (synonyme de modernité) et les architectes auront de plus en plus besoin des ingénieurs pour l’utilisation des nouvelles matières, pour leur maîtrise dans la connaissance des matériaux et de leur résistance.
Le métal intervient d’abord en renfort (comme ossature) des structures de pierre des monuments. Il est systématiquement masqué derrière un parement de pierre. L’opportunité de couvrir des espaces de plus en plus large et volumineux amorce un premier virage de l’utilisation du métal dans les ouvrages spectaculaires comme les ponts. Malgré ses prouesses techniques, l’utilisation du métal peine à s’imposer dans les monuments « officiels ». La peur des incendies dans les lieux particulièrement à risque sera un premier déclencheur de l’utilisation du métal dans les charpentes. Les halles centrales de Paris de Victor Baltard et Félix Callet représentent le premier exemple de construction entièrement métallique.
L’arrivée du chemin de fer bouleverse et conditionne un certain nombre d’aménagement urbain. Au-delà des rails, c’est la gare qui va devenir un lieu de transit et l’emblème des nouveaux bâtiments du siècle.
L’architecture métallique s’impose progressivement devant la pierre et bouleverse l’équilibre des références artistiques et des relations définis entre artiste architecte et ingénieur. Utilisé comme ossature pour économiser la pierre et le bois, elle va progressivement prendre une place de plus en plus visible, jusqu’à devenir l’unique matériau se suffisant à lui-même incarnant la puissance d’une nation en 1889.
Gustave Eiffel : l’homme de son temps
Eiffel n’est pas la tour
Gustave Eiffel incarne l’image des ingénieurs du XIXème siècle : inventif, audacieux, c’est un entrepreneur qui ose prendre des risques mesurés et calculés. Né en 1832 à Dijon, il entre à l’école centrale des arts et manufacture en 1852 et débute sa carrière en 1855. Son premier grand chantier commence en 1858, c’est le pont ferroviaire de Bordeaux. Il enchaîne ensuite d’autre commandes importantes de ponts en France, en Europe mais aussi en Asie (Cochinchine).
En 1875, Eiffel obtient la réalisation de deux grands projets : celui de la Gare de Pest (Hongrie) et du Pont sur le Douro (Porto, Portugal). En 1880, Eiffel reprend le modèle du pont portugais et apporte encore des améliorations pour construire le célèbre viaduc de Garabit. Dans les années 1880, Bartholdi vient chercher l’ingénieur pour concevoir l’armature en fer de sa monumentale statue particulièrement intéressé par sa maîtrise technique de résistance au vent. Par souci d’économie, Eiffel conçoit un grand pylône en fer qui sert de point d’appui à toute l’enveloppe de cuivre de la statue de la Liberté.
Eiffel va passer sa vie à innover dans les techniques de métallurgie. Chaque ouvrage d’art le fait avancer dans sa maîtrise de la construction métallique. Son entreprise de Levallois-Perret enchaîne les commandes qui ne désemplissent pas. Au début des années 1890, l’entreprise Eiffel se classe parmi les six premières entreprises de construction française.
Lorsque le projet d’une tour de 300 mètres de haut commence à circuler, Eiffel va mettre tout son talent et son savoir-faire pour qu’elle devienne réalité.
L’exposition universelle de 1889 : le triomphe de l’ingénieur
Cette tour est l’œuvre principale de M. Eiffel et apparaît comme un symbole de force et de difficultés vaincues - Gustave Eiffel, Biographie
L’exposition de 1889 doit consacrer la République nouvellement instaurée. Dès le lancement du projet, l’idée d’une tour immense dépassant les mille pieds refait son apparition. En effet dès 1833 l’anglais Trevithick a proposé les plans d’une telle réalisation. En 1881 Bourdais et Sébillot reprennent l’idée d’une tour de 300 mètres, mais l’aspect fantaisiste et le manque de connaissances techniques enlève au projet toute crédibilité. Il laisse alors le champ libre aux entreprises Eiffel pour présenter un projet audacieux et surtout réalisable qui sera sélectionné en 1886.
Ce projet est un tournant symbolique : la commission de l’exposition confirme la construction d’un monument dont l’objectif n’est pas d’abriter des productions ou des œuvres mais d’être l’entrée de l’évènement (elle est l’œuvre par elle-même). Et parce qu’elle confie ce projet à un ingénieur, elle reconnait la créativité des ingénieurs au même titre que celui des architectes.
La tour est achevée le 31 mars 1889, à temps pour incarner l’entrée de l’exposition dont elle sera l’attraction la plus spectaculaire. Après avoir rencontré une hostilité déclarée d’une partie des architectes et des artistes, l’accueil triomphale qu’elle reçoit de la part du public confirme l’audace de son créateur. La foule est au rendez-vous, et l’image de la tour se répand sur les publicités ou autres images de la capitale. La Tour impose et fascine.
Pourtant dès 1900, l’avenir de la Tour est loin d’être assurée (Eiffel bénéficie d’une concession qui expire en 1909, année où elle doit être détruite). C’est grâce à la liaison télégraphique entre la Tour et le Panthéon que son avenir est assuré. Son intérêt stratégique l’assure de sa conservation.