La vie d’un montagnard
Entre les hommes et la montagne, c’est une longue histoire, vieille de plusieurs siècles. Elle se dresse sur l’horizon, tellement énorme qu’elle dévore le ciel. Jadis au temps des superstitions, les peuples de la plaine la nommaient « Maudite », hantée par les âmes des morts, ensorcelée par les esprits. Sans doute nos ancêtres ont-ils raconté leurs exploits. Mais la tradition orale s’est perdue dans la nuit des temps et il ne nous reste aujourd’hui que les écrits pour retracer l’histoire. Et les siècles ont passé, les hommes devenus sceptiques ont cru la vaincre.
Un montagnard sait d’où vient le vent et connait ses effets, l’imprévisibilité des orages, la texture de la neige. Il apprend à sentir la montagne, pas seulement ses pentes ou l’aridité de l’escarpement ; il la connait en profondeur et appréhende ses frémissements, car la montagne vit.
Or, l’urbanisation et la technologie triomphante en font un réservoir de ressources à exploiter, l’ouvrent sur le monde extérieur, y permettent l’essor du tourisme et assurent la promotion d’une image montagnarde bénéfique. Car la montagne est toujours à la mode, aujourd’hui où l’environnement joue un rôle primordial.
Cet article se propose d’aborder les différents visages de la montagne d’hier à aujourd’hui, entre tradition et proximité, modernité et écologie. Partons à sa découverte tel un randonneur !
Le Portrait du montagnard
Le montagnard, ce personnage qui vit en hauteur dans un environnement souvent difficile et isolé et qui doit faire preuve d’adaptation face aux aléas de la nature et au rythme des saisons… L’isolement le pousse à pratiquer tous les métiers tel un couteau suisse, il peut être à la fois garde-forestier, guide, éleveur, artisan ou encore moniteur mais il peut également être amené à redescendre dans les plaines pour faire du commerce ou du travail saisonnier.
Le montagnard est également un homme de traditions qui a le sens de l’entraide et dont les gestes permettent de se protéger lui-même mais aussi l’environnement qui l’entoure. Il doit faire preuve d’adaptation afin de tirer le meilleur parti de son environnement tout en le préservant. Il se fait souvent éleveur, une solution naturelle pour survivre en milieu difficile en utilisant les ressources mises à disposition par la montagne et qui permet l’entretien de la végétation. Toutefois, les conditions météorologiques parfois extrêmes, l’enclavement et les difficultés pour s’approvisionner rendent la vie du montagnard ardue. En conséquence, les communes françaises situées en haute altitude ont tendance à se dépeupler de leurs habitants.
Cependant, à l’échelle mondiale les rapports de l’homme à la montagne ne sont pas les mêmes. En Chine par exemple, la densité de montagnards est faible même si des minorités sont toutefois présentes comme le peuple Yi qui compte environ 8 millions d’habitants et qui vit dans les régions rurales en haute altitude. Il est composé de plusieurs groupes (Yi fleuris, Yi noirs, Yi blancs etc.) et représente l’une des ethnies les plus importantes de Chine. Au Népal, les Sherpas vivent dans des conditions de vie extrêmes à très haute altitude dans les montagnes himalayennes. À l’origine éleveur, commerçants ou paysans, ils sont devenus depuis quelques années également guides de montagne afin d’accompagner les alpinistes vers les sommets de l’Himalaya. À l’inverse, en Afrique et en Amérique latine la densité de population vivant en haute altitude est importante. Beaucoup de montagnards sont présents dans les hautes terres tropicales de l’Est de l’Afrique où le climat et l’humidité rendent la montagne très favorable à l’agriculture. Le peuple Chagga (1.2 millions de personnes) qui vit sur les pentes du Kilimandjaro est notamment reconnu pour son ingéniosité concernant leurs systèmes de production agricole et particulièrement au niveau des techniques d’irrigation de leurs cultures.
Malheureusement, la population des montagnes diminue car les habitants qui descendaient pour l’hiver ne remontent plus une fois celui-ci passé, la vie dans les plaines étant plus attractive. L’abandon de ce milieu par les personnes qui avaient appris à le gérer laisse des traces : la végétation s’étend et devient impénétrable, les chemins non entretenus disparaissent et les aménagements deviennent des ruines. De plus, depuis la multiplication des stations de sports d’hiver de nouveaux courants migratoires saisonniers qui conduisent à des afflux de touristes importants ont été constatés et mettent en danger ces milieux fragiles.
Les activités de la montagne
L'été comme l'hiver "La montagne, ça vous gagne". Avec L'alpinisme, la via ferrata, la spéléologie, l'escalade, le parapente, la course en montagne, le vélo tout terrain, la randonnée pédestre, mais aussi le patinage sur glace naturelle ou artificielle... Ouf, on ne se souvient pas de tout, mais ça glisse, vole, saute et grimpe.
Depuis quand les sensations fortes à la Montagne nous attirent-elles autant ? Le Massif central, les Pyrénées, le Jura, les Vosges et les Alpes. La France est un territoire idéal qui nous présente une multitude de choix.
L'escalade
À l'origine, l'escalade était un moyen d'accéder à un endroit surélevé qui offre une observation et la meilleure protection contre les dangers. Les hommes préhistoriques escaladaient déjà. À la fin du XIXe siècle, l’alpinisme se développe et de nombreux clubs alpins se créent.
La randonnée
La randonnée, telle que nous la connaissons, apparait aussi au XIXe siècle. L’activité nécessite peu de matériel, elle nous propose le dépaysement et la découverte de nouveaux horizons. Le premier guide de randonnée de France est apparu en 1837.
La via ferrata
C’est un mélange de randonnée et d’escalade sur un parcours sécurisé, aménagé dans une paroi rocheuse, équipé avec des éléments métalliques (d’où le nom - voie ferrée). La première via ferrata a été créée par le glaciologue autrichien Friedrich Simony en 1843.
Le canyoning
Qu’est-ce que c'est ? C’est une descente en eaux vives en alternant nage, randonnée et escalade. Cela a commencé tout simplement avec les chasseurs et les pêcheurs. Ce sont les premiers explorateurs de canyon, équipés de matériel de fortune, motivés par une question : qu’est-ce qu'on mange ce soir ?
Le ski
Au XIXe siècle, c’est le ski utile qui prévaut dans les villages montagnards (ici, un facteur en tournée). Il est pratiqué sur terrain plat ou peu pentu, les skis étant de longues planches en bois massif.
La luge
On glisse depuis la nuit des temps ! Les archéologues trouvent la première luge en Hongrie. Des ossements (mâchoires, fémurs, tibias de cheval ou de buffle), datant de la fin du néolithique sont utilisés comme patins de luge.
La neige pour tous
En 1950, la première classe de neige est organisée par Mlle Muller de Schongor, institutrice de Paris, persuadée qu'un séjour en montagne et la découverte du ski sera bénéfique pour ses élèves.
Depuis ces dernières années, avec la fonte des glaces et le manque de neige sur les pistes, les montagnes s’adaptent et s’équipent. Les vélos pour la descente vertigineuse, les parapentes pour couper le souffle, le karting pour les secousses, les patinoires avec la glace artificielle pour la glisse à tout moment. Cette évolution s’est faite grâce à l’utilisation de matériaux plus performants. Effectivement, ils offrent plus de sécurité et de confort pour prendre l’air en toute liberté et rester connecté avec la nature.
La montagne dans l’imaginaire collectif
Là-haut, au sommet des cimes, l’homme se plaît à évoquer une montagne immense, grandiose, mais aussi parfois porteuse de danger, de folie et d’autres légendes noires. La montagne n’est pas qu’un simple décor, un simple paysage, mais c’est un élément de notre imaginaire collectif charriant des personnes, de la faune, de la flore, des histoires, des drames et aussi des joies. La montagne est façonnée par les personnes qui l’habitent et plusieurs archétypes sont rattachés à cette grande dame blanche, qui marque de manière profonde l’imaginaire collectif.
La montagne fascine l’homme, elle lui ouvre un nouvel horizon, un champ des possibles. La montagne est souvent perçue comme un lieu de refuge pour l’homme. Ce fut le cas lors de la Seconde Guerre mondiale où de nombreuses personnes ont pu trouver un abri dans les flancs escarpés de la montagne. La montagne est ainsi vue comme un espace de liberté, d’évasion qui offre un havre de paix permettant à l’homme de se recentrer sur lui-même et d’être lui-même. Cette paix et cette liberté, offerte par la montagne, sont retransmises dans une multitude de romans et de films à l’image du film Le secret de Brokeback Montain réalisé par Ang Lee qui va permettre à deux hommes de vivre leur passion en toute liberté.
La montagne est souvent décrite comme un élément propice à permettre le dépassement de soi notamment à travers les pratiques sportives liées à l’alpinisme. L’homme se trouve confronté à la grandeur et à la dureté des éléments de la montagne. Elle revêt alors un caractère sacré, replaçant l’homme dans une position d’humilité. C’est lorsqu’il est confronté à cette dernière, que la proximité avec la montagne s’opère, que l’homme accède à un dépassement de soi et à une communion avec la nature. Mike Horn dans son autobiographie Vouloir toucher les étoiles transmet à travers ses mots toutes l’humilité de l’alpiniste face à la montagne.
Toutes les montagnes ont leur propre chant, leur propre voix, à travers les vents. Et quand les vents tombent, la montagne devient silencieuse, tellement silencieuse qu'on croit entendre ce silence. C'est là, en ne percevant plus que les battements de son cœur, que l'on prend conscience de son engagement. Et que l'on se sent pleinement vivant.
Les pratiques sportives, les récits ou les films qui ont pu être réalisés montrent aussi un aspect très important de la montagne, son imprévisibilité. À l’image des ouvrages de Roger Frison-Roche, ce savoyard aux multiples étiquettes a réussi à dresser de la montagne un portrait qui aujourd’hui encore marque l’imaginaire et les auteurs qui souhaitent se confronter à elle. Son roman Premier de cordée qui relate les aspirations de Pierre Servettaz à devenir guide de haute montagne qui va partir à la recherche de son père lorsqu’il disparait. La montagne est donc dans l’imaginaire collectif un lieu de liberté pour l’homme lui permettant de se ressourcer et de se dépasser mais aussi un lieu imprévisible qui peut revêtir une réalité plus sombre.
Le danger de la montagne, Stanley Kubrick l’illustre à la perfection avec le plan d’ouverture de Shining tourné en hélicoptère. Nous sommes d’abord au milieu d’un lac pratiquement au ras de l’eau avant de nous élever vers une route montagneuse sur lequel une voiture serpente. Pendant près de deux minutes nous allons suivre l’ascension de cette voiture. Le plan vacillant qui nous annonce déjà une forme d’instabilité et le malaise est renforcé par la musique de Wendy Carlos. La petite voiture progresse sur la route montagneuse, elle est seule, les véhicules qu’elle croise vont toujours dans le sens inverse ou se trouvent à l’arrêt cela introduit une tension chez le spectateur et une sensation de danger. Kubrick instaure dès le début du film l’image d’une montagne immense, dangereuse qui par l’isolement qu’elle va entraîner pour nos protagonistes est annonciatrice d’une fin funeste. La littérature de mauvais genre s’est emparée de la montagne comme cadre de ses romans que l’on soit adepte de monstres ou d’entités ou bien en proie à un tueur, la montagne est un lieu dangereux où l’on ne sait jamais bien ce qu’il s’y cache.
Cet isolement peut être propice à tous les dangers comme dans bon nombre de récits. La montagne est par la même occasion associée à la folie et à des légendes bien sombres. Dan Simmons dans son roman Abominable s’inspire de l’enfer lovecraftien des Montagnes hallucinées où l’on découvrait le récit des aventures en Antarctique de William Dyer. La folie est aussi présente avec l’histoire de l’expédition Donner souvent reprise et pastichée dans les romans et les films comme avec Tombes oubliées de Douglas Preston. Mais les dangers en montagne sont réels comme nous le rappelle l’histoire des rugbymen coincé dans les Andes où l’horreur est liée aux conditions extrêmes dans lequel l’homme est contraint de survivre en haute montagne.
La montagne domine par sa stature dans l’imaginaire collectif et si elle est havre de paix et espace chargé d’air pur, elle est aussi pour les protagonistes un lieu dans lequel il est facile de s’égarer, de se blesser et de mourir.
L'Impact écologique et les enjeux environnementaux
L’un des premiers à se préoccuper de la sauvegarde de l’environnement et en particulier du milieu montagnard, est l’Américain John Muir. Il est d’autant plus précurseur dans les jeunes États-Unis du XIXe siècle, bien plus préoccupés de progrès techniques et confrontés à une nature pouvant être vue comme impitoyable et offrant des ressources sans limites. Tandis que ses compatriotes cherchent à dompter et exploiter ce terrain nouvellement conquis, John Muir, notamment dans Un été dans la Sierra, invite à la lenteur et à la contemplation. Un peu comme Henry-David Thoreau de l’autre côté du continent, près de l’étang de Walden.
Grâce à sa ténacité, John Muir parvient à convaincre les autorités fédérales de la nécessité de préserver l’espace naturel exceptionnel de la Sierra Nevada californienne. En 1890, le parc national de Yosemite est créé, devenant le troisième parc national américain. Ses séquoias géants, centenaires, et ses nombreux sentiers de randonnée offrent encore un spectacle époustouflant de nos jours.
Milieu fragile et complexe, la montagne concentre bien des enjeux actuels liés au réchauffement climatique. Le manque de neige force les stations de sports d’hiver à se reconvertir sous peine de mourir économiquement. La neige de culture projetée par les canons, gourmande en eau, n’apparaît pas comme viable pour les associations écologiques. La disparition pure et simple pourrait être ce qui attend les petites stations de faible altitude à moyen terme, comme Chalmazel et la Loge des Gardes chez nous dans la Loire. Toutefois, le sport à la montagne, ce n’est pas que l’hiver. Les pistes de ski peuvent être réutilisées en saison estivale pour faire du vélo de descente, de la luge d’été ou bien de l’accrobranche, nous l’avons vu.
Scrutés de très près par les scientifiques, les glaciers sont une source d’inquiétude et ne cessent de se rétrécir. Tandis que les étés se font de plus en plus caniculaires, l’hiver n’est plus assez froid pour que le manteau de glace puisse pleinement se reconstituer. Dans le massif du Mont-Blanc, la mer de Glace montre depuis les années 2000 un très net recul. De moins en moins longue, de moins en moins épaisse, il est tout à fait possible que les générations futures ne la connaissent plus que par des images d’archives, comme le glacier islandais Okjökull officiellement disparu en 2014.
Avec quelles conséquences ? Un glacier, c’est une importante source d’eau douce pour l’agriculture, la consommation et la production d’électricité. C’est aussi un écosystème qui se retrouve bouleversé, des risques d’avalanches et d'éboulements de pierres accrus. Plus préoccupant encore, il existe un risque potentiel de virus et bactéries piégés dans la glace qui se retrouveraient à l’air libre. Le modèle pastoral se retrouve lui aussi menacé. Moutons et vaches, dont les produits laitiers font le régal des populations et des touristes, risquent bientôt de ne plus trouver suffisamment d’herbe pour se remplir la panse.
Alors que l’on pourrait imaginer les sommets montagnards comme des refuges face aux évolutions du climat, ce sont au contraire des milieux sensibles et fragiles sur lesquels les effets du changement sont à la fois les plus rapides et les plus palpables.