Le corps féminin : la fin d’un tabou ?Révélation de l’intimité féminine, sans fausse pudeur
Le corps féminin, exhibé ou caché est un marqueur de l’évolution des mentalités. Dans une société où la vie privée fait irruption dans les questions politiques, le corps féminin est le terrain de nombreux débats et tabous. Depuis toujours le corps de la femme est un objet de domination masculine, sa conquête : un enjeu de pouvoir ; sa libération : un progrès pour la moitié de l’humanité.
Être une femme est un combat
Le 20e siècle est évidemment le siècle du combat des femmes. Des suffragettes britanniques en 1928 au droit de vote des françaises en 1944, de la libération sexuelle des années 68 en passant par le droit à l’avortement en 1975, ce siècle voit dans les années 70 la parfaite illustration de la conquête de leur corps par les femmes. Car les mouvements féministes ont bien compris que cette libération passerait par la réappropriation de ce corps et le droit d’en disposer librement. Mais ne nous leurrons pas, la libération sexuelle n’a pas été l’exact synonyme de la libération des femmes, et l’émancipation n’est toujours pas garante de l’égalité avec les hommes.
Femmes sous influence
Le corps féminin n’échappe pas à la dictature orchestrée par l’industrie et la publicité. L’obsession de l’apparence instrumentalise le corps des femmes. En le surexposant, elle le réduit à des représentations hypersexuées et truquées et le cantonne à être un objet de désir. Difficile d’échapper à cette image idéalisée et standardisée ! Etre épanoui avec un corps « hors norme » devient alors un défi, car l’apparence physique, pourtant futile, est centrale pour l’estime de soi.
Choisir d’être mère
Le corps des femmes peut aussi devenir un instrument majeur de contrôle social, à l'encontre de toute forme de libération individuelle. Une des évolutions décisives de l’émancipation féminine a été la maîtrise de la maternité. Mais malgré cette liberté, les femmes restent souvent marquées par cette image de fécondité. Celles que ne désirent pas être mères sont estampillées par ce choix décisif tout au long de leur vie de femme. Porter la vie est à la fois un privilège et un fardeau. La maternité est cependant plus banalisée. On n’hésite plus à parler de ses aspects négatifs, de nausées en vergetures. Des écrits souvent plein d’humour remettent les symboles à l’heure. Tandis qu’inversement, de futures mères se gargarisent de leur « baby bump » sur les réseaux sociaux, dans une mise en scène étudiée de leur corps, dévoilant cette expérience si personnelle.
The Birth of Venus, Alexandre Cabanel, 1875 - Gift of John Wolfe, 1893
Eve, Auguste Rodin, 1910 - Gift of Thomas F. Ryan, 1910
Un nouveau féminisme de l’intime
A l’heure des scandales sexuels, l’intimité féminine, bafouée, est paradoxalement de plus en plus révélée, comme pour en démontrer la maîtrise. Les femmes ne désarment pas et gardent le pouvoir sur leur propre corps.
Camille Froidevaux-Metterie, auteur de La révolution du féminin, centre sa réflexion sur la question du corps des femmes. Après des années de combat, le féminisme d’aujourd’hui se joue autour de la question du corps de la femme, de son intimité et de sa génitalité. Le sexe féminin, ce "territoire invisible" longtemps resté tabou, connaît un intérêt croissant en tant que sujet. La parole des femmes se libère, journalistes, philosophes et médecins abordent plus largement la sexualité féminine. Le sexe des femmes, les règles, le vagin, le clitoris sont explorés dans des livres pratiques. Les femmes ayant souvent une conception négative du fonctionnement de leur propre sexe, ces ouvrages les rassurent sur leur normalité.
Rendez-vous en terre inconnue
En 2015, la presse américaine titrait sur « la révolution menstruelle : le combat contre la honte des règles ». Certaines féministes militent avec audace contre les stéréotypes liés aux menstruations et dénoncent la «taxe rose» appliquée aux protections hygiéniques. Le sujet des règles, encore jugé tabou et sale et exclusivement réservé à la sphère féminine, marque pourtant l’entrée des femmes dans la vie fertile, étape naturelle et fondatrice s’il en est.
De même, le clitoris, organe méconnu, a attendu 2017 pour véritablement exister dans les manuels scolaires de biologie. Cette mini-révolution éditoriale, fruit de recherches scientifiques récentes, est à considérer comme une étape décisive dans l’éducation des adolescents des deux sexes. Cet organe mystérieux, inconnu de 80% des adolescents, pourrait bien devenir le symbole d'une féminité libérée du mâle.
Mon corps ne vous appartient pas
La domination masculine est ancrée dans l’inconscient collectif, mais on pense moins naturellement à son incarnation « technicienne ». La dictature médicale est décrite par Martin Winckler, écrivain et gynécologue. Dans Les brutes en blanc, il dénonce la violation du corps féminin lors de gestes médicaux banalisés, mais d’une violence qualifiée. Comme si l’émancipation des femmes, gagnée en partie grâce à la médecine, trouvait ici un prix à payer.
D’autres s’insurgent des violences obstétricales, où l’accompagnement des femmes est escamoté par la technique. La fin de cette domination, autojustifiée par la science, est une lutte placée au cœur des nouveaux combats féministes.
Enfin, impossible d’ignorer la question des violences masculines infligées aux femmes, un comportement qui résiste à cette dynamique d’émancipation du corps féminin, générant de nombreuses victimes chaque année et constituant l’ultime atteinte à l’intégrité des femmes.
Au-delà des publications militantes, au-delà de « me too » et consorts et alors que les questions sociales et politiques sont presque réglées, la question du corps des femmes, mis sur la place publique, ce corps opprimé, douloureux, violenté, ne doit pas faire oublier la dimension sensuelle d’un corps désiré et désirant.