Écrivain à 3 TempsCorinne Royer
Pour réécoutez la rencontre avec Corinne Royer
Pour cette 10e édition d’Écrivain à 3 Temps, la Médiathèque de Roanne a accueilli Corinne Royer, auteure de cinq romans, dont le tout dernier Pleine terre a été encensé par la critique et a reçu le prix du livre engagé pour la planète Mouans-Sartoux ainsi que le prix Claude Fauriel en 2022. Née à Saint-Etienne, Corinne Royer a travaillé jusqu’en 2015 en tant que directrice d’une agence de communication. Elle publie en 2009 son premier roman M comme Mohican chez Héloïse d’Ormesson. Tous les romans de l'auteure abordent des thématiques qui lui sont chères telles que l’histoire tourmentée du XXe siècle ou l’impact du capitalisme sur le destin des individus.
« Je ne souhaite pas forcément évoquer la grande histoire, mais rentrer dans l’intimité de mes personnages et aborder certaines périodes de l’histoire à travers l’ambiguïté de mes personnages. » déclare Corinne Royer.
La force de l’écrit
Les auteurs sont les anthropologues d’eux-mêmes.
Dans son second roman, La vie contrariée de Louise, l’auteure s’intéresse au village de Chambon-sur-Lignon, dont elle connaît bien l’histoire. Ce qui l’a captivée dans le destin de ce village, c’est le sentiment de désobéissance civile qui s’est emparé de ses habitants et les a conduits à entrer en Résistance. La grande histoire nous est narrée, comme souvent dans les écrits de Corinne Royer à travers des archives écrites. Des témoignages nous parviennent à travers des cahiers, des carnets et des lettres. Cette place de l’écrit dans la vie de ses personnages est sans doute le reflet inconscient de la place de l’écriture et la lecture dans celle de l’auteure. Auquel s'ajoute un goût dès le plus jeune âge pour les disciplines littéraires au détriment des disciplines scientifiques. Corinne Royer explique que l’écriture a toujours fait partie de sa vie, venant combler sans doute un rapport plus compliqué avec l’oralité durant sa jeunesse. Ces personnages ont donc par mimétisme inconscient un rapport important à l’écriture qui vient lui aussi combler un besoin d’expression. Dans La vie contrariée de Louise, le récit se construit notamment par le biais d'un cahier rouge, le journal intime de la jeune femme qui permet à son petit-fils de découvrir l’histoire de ce village qui protégea des réfugiés sous l’occupation. Le procédé du carnet ou des lettres est également employé dans d’autres romans. Dans Ce qui nous revient, l’auteure fait ainsi du carnet de recherches de la scientifique Marthe Gautier un personnage à part entière du livre.
Laisser une place au lecteur
J’aime les livres qui laissent la place à l’interprétation des lecteurs.
A l’image de la lauréate du prix Nobel de littérature Annie Ernaux, il est primordial pour Corinne Royer de laisser au lecteur le soin d’interpréter certains événements se déroulant dans ses romans. De fait, elle fait sienne la citation suivante d’Annie Ernaux : « Le roman est fait pour cet espace-temps particulier. Le romancier doit laisser sa place au lecteur afin de rentrer dans cet espace-temps et de le vivre à sa propre façon et selon sa propre expérience. »
« Il arrive que les lecteurs me disent qu’ils ont lu une première, une seconde fois certains passages pour arriver à comprendre certaines situations. » poursuit Corinne Royer. « Dans mon écriture, je me place aussi dans la position du lecteur. Il arrive que certaines personnes n’aient pas la même interprétation d’un même événement ou d’une même situation. » C’est peut-être pourquoi on trouve dans plusieurs des romans de Corinne Royer des points de bascule, des évènements ambigus, à double sens, qui viennent ouvrir la porte à l’interprétation des lecteurs. Ces évènements constituent par ailleurs des moyens de relance de la narration ou de dénouement d'une intrigue volontiers envisagée sous la forme de l'enquête.
Histoires de famille et ruralité
À travers le roman, je souhaitais amener cette problématique là où on n’en parle pas, car on la limite à un problème de campagne. En réalité, c’est un véritable problème de société […] derrière cette photographie du monde agricole, il y a des hommes et des femmes.
Pour l’auteure, ces histoires pourraient se passer chez un couple d’avocats, de médecins, car son récit aborde des thématiques bien plus vastes que le simple monde agricole. « À travers cette galerie de personnages, Pleine terre balaie énormément de questionnements. »
Les histoires de famille ainsi que la ruralité sont deux éléments très présents dans les romans de l’auteure. Déjà en 2016 avec le roman Et leurs baisers au loin les suivent, on découvre l’histoire d’un couple, Cassandre et Léon, qui vit dans une ferme de Saône-et-Loire. Ce roman à la construction complexe nous fait voyager dans l’intimité d’une vie à deux qui n’est pas exempte de mensonges et de secrets, qui questionne aussi sur l’attachement aux lieux. Car une question taraude beaucoup Corinne Royer : "d’où venons-nous ?". Une importance accordée à la terre et à la ruralité également présentes dans Pleine Terre roman qui met en lumière la vie précaire et la détresse des paysans à travers la cavale de Jacques Bonhomme. L’auteure est familière du monde paysan, vivant elle-même à la campagne. « Le monde agricole est un monde que je connais bien, j’ai grandi dans une ferme à Neulise donc la question du devenir de la paysannerie m’interpelle beaucoup. » Cependant, Corinne Royer avoue avoir du mal à concevoir son roman comme militant. Pleine terre est un roman qui est là pour poser des questions, mais sans aspect revanchard.
« La MSA (Mutuelle Santé Agricole) parle d’un suicide d’agriculteur par jour, j’ai souhaité faire le portrait du monde agricole aujourd’hui. Le roman Pleine terre a été repris par des articles de sociologue, car les suicides chez les agriculteurs ne tiennent pas qu’à la seule dimension économique. La souffrance des agriculteurs est en effet avant tout liée à une perte de sens du travail. Les agriculteurs perdent leurs valeurs, leurs techniques et leur monde. Ils ne se reconnaissent pas dans le terme de chef d’exploitation. »
Des personnages de chair et de papier
Ce personnage est né de tous les paysans que j’ai rencontrés, pendant plusieurs années.
La construction des personnages au sein des romans de l’auteure découle d’un procédé d’écriture qu’elle conçoit de manière très encadrée avec la création de fiches, un découpage des chapitres… Cependant, tout ce processus n’est là que pour être finalement balayé, car la musicalité de la langue, la manière dont la phrase tombe importent plus que tout. Pour certains romans, où les personnages sont réels ou du moins s’inspirent de la réalité, les enjeux sont différents. Ainsi, pour écrire Ce qui nous revient, Corinne Royer a établi un contrat de moralité avec Marthe Gautier, généticienne dépossédée de son rôle crucial dans la découverte de la trisomie 21, avec qui elle a eu de nombreux échanges pendant deux années.
Pour son roman Pleine terre, qui s’inspire d’un fait réel, la cavale tragique de Jérôme Laronze, agriculteur de Trivy en 1997, l’auteure a souhaité faire de Jacques Bonhomme un véritable personnage de fiction. Nous livrant ainsi le récit de neuf jours de cavale de l’agriculteur révolté qui quitte sa ferme pour s’enfoncer dans la forêt, pour « rentrer, là où les journalistes ne pouvaient pas aller. »