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Eduardo Fernando Varela
Rencontre littéraire - Médiathèque de Roanne

Jeudi 9 novembre 2023
à 18h30

Pour réécouter la rencontre avec Eduardo Fernando Varela

 


©Philippe Matsas/Editions Métailié

 

Eduardo Fernando Varela était l’invité des médiathèques le 9 novembre 2023 dans le cadre du festival des littératures latino-américaines Belles Latinas. L’auteur a ainsi pu revenir sur ses deux premiers romans et nous livrer quelques-unes des clés de lecture. Si son œuvre purement littéraire, débutée tardivement après une carrière comme scénariste, est toujours en gestation, elle qui présente déjà une grande cohérence et un univers particulièrement inspiré et fort de nombreux symboles. 

L’œuvre d’Eduardo Fernando Varela est ancrée dans les paysages argentins dont, vivant pendant de nombreuses années à Venise, il avait été éloigné. Patagonie route 203 s’intéresse aux paysages immenses et vides de la Patagonie qui s’étendent sans fin vers le sud. Pour l’auteur comme pour de nombreux Argentins, la Patagonie est liée à un très mauvais souvenir, en l’occurrence le service militaire. Dans Roca Pelada, c’est la cordillère des Andes, loin au-dessus du monde, que s’est intéressé l’auteur. C’est parce que, pour des raisons familiales, il s’est retrouvé enfermé dans l’urbanité de Buenos Aires, que l’auteur a voulu écrire sur la nature

Celui-ci a pu nous confirmer que ces deux romans seront bientôt suivis d’un troisième qui s’intéressera cette fois-ci à un autre environnement naturel argentin, la pampa, cette immense plaine agricole remplie de vaches et d’estancias. Chacune des trois histoires reste indépendante, mais des personnages pourront voyage d’un livre à l’autre, comme Josefina qui, dans Roca Pelada, parcourait les Andes en train à la recherche de son mari fugitif. 

Cinématographie du roman 

Eduardo Fernando Varela ne renie en aucun cas son métier de scénariste. En effet, les deux romans ont d’abord été pensés comme des scripts possibles avant de devenir des romans. Pour ce faire, il a été nécessaire de remettre dans l’histoire toutes les pensées des personnages, qui n’apparaissent jamais dans un scénario où tout doit être très visuel. Mais c'est aussi pour cela que les romans présentent des paysages avec une aussi forte présence. 

 



 



La dernière frontière 

Outre la nature implacable qui transparaissait déjà dans son premier roman, Fernando Varela souligne son intérêt pour la thématique des frontières, centrale dans Roca Pelada où deux postes de douane se font face et se défient tout en haut d’une montagne hostile. Il arrive souvent qu’une frontière permette davantage d’unir plutôt que de diviser et elle entretient le désir irrépressible d’aller voir ce qui se trouve de l’autre côté. Pour autant, pour les peuples Amérindiens, la notion de frontière est absurde et ils passent leur temps, tout au long des pages du roman, à aller et venir d’un côté de la ligne à l’autre sans se poser de question. 

La gradation est différente entre les deux romans. Patagonie route 203 s’imposait comme une longue ligne droite sans obstacle ni intersection tandis que la structure de Roca Pelada se construit sous la forme d’une ascension puis d’une longue chute, rappelant directement les reliefs accidentés des Andes. Ce pic est représenté par la soudaine apparition d’une jeune femme, dans l’un des deux postes frontières qui va profondément bousculer ce monde d’hommes qui s’étaient résignés à vivre un quotidien de caserne sans surprise. 

Même si des indices subtils permettent de déterminer quels sont les deux pays qui se font ainsi face sur ce col andin dans le roman, l’auteur précise qu’il n’a volontairement pas voulu les nommer de façon explicite. En effet, il apparaît à la lecture que l’un des deux pays présentés est légèrement sous-développé par rapport à l’autre et Eduard Fernando Varela n’a voulu vexer personne. 

Pour autant, malgré les thématiques communes de la morne vie de caserne et de l’attente dans une montagne inhospitalière, Eduardo Fernando Varela ne veut pas comparer Roca Pelada au Désert des Tartares de Dino Buzzati. En effet, dans l’œuvre de l’auteur italien, l'adversaire n’est jamais visible tandis que la confrontation existe dans Roca Pelada et c’est ce qui sauve les hommes de la folie. Ils sont pourtant dans l’immobilité imposée, tandis que dans Patagonie route 203, le vide les contraint au mouvement et à un déracinement permanent. C’est l’exemple typique du monde flottant. 

Nature mythologique 

Les paysages de Patagonie sont à ce point vides qu’il apparaît nécessaire pour un Argentin de les remplir de mythes. Il n’est pas impossible de faire une semaine de voyage sans rencontrer personne. Un Européen, au contraire, est à ce point saturé de culture que cet espace le fait rêver et lui permet de se décharger de se soulager d’un monde beaucoup trop rempli. Eduard Fernando Varela en sait quelque chose, lui qui a vécu si longtemps à Venise, qu’il qualifie "d'enfer touristique". Pour remettre en perspective le gigantisme du territoire argentin, Eduard Fernando Varela rappelle que si l’on superposait son pays à une carte de l’Europe, le sud se trouverait au Portugal et le nord à Moscou. 

De même en haut des Andes, le quotidien morne des gardes-frontière les rend sensibles au moindre mouvement et au moindre signe, comme le passage d’un animal, et dont ils vont surinterpréter le symbole et qui va les éloigner petit à petit de la réalité. Parmi les personnages qui apparaissent dans Roca Pelada, l’auteur distingue trois niveaux successifs. Tout en bas, le minéral avec les mineurs, sombres et terreux, puis le végétal avec les soldats tropicaux envoyés bien loin de chez eux et coupés de leur forêt. Tout en-haut, le ciel, infini, et les éléments naturels, en particulier les météorites qui ont, ironiquement, parcouru des distances phénoménales à travers toute la galaxie et se retrouvent affublées de ridicules noms patriotiques par chacun des deux pays. 

La jeune femme qui apparaît dans la garnison adverse dans le roman constitue elle aussi un symbole fort puisqu’elle renvoie à la très ancienne tradition inca de la Pachamama, c’est-à-dire une forme d’érotisation de la terre nourricière, rappelée par sa longue chevelure rousse. 

 



Eduard Fernando Varela conçoit totalement la littérature comme une façon d’échapper à la routine et à la réalité, quitte à construire la fiction la plus folle possible et sans crainte de s’aventurer dans l’exagération. Il nous rassure, écrire n’est jamais un risque mais bien plutôt un sauvetage. 
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