Le vélo, entre selle et terre« Les cyclistes vous donneront une dizaine de raisons pour lesquelles ils font du vélo. Mais derrière chaque raison se cache le plaisir et la liberté. »
Moyen de transport qui permet d’aller à son rythme dans un monde où tout va de plus en plus vite, le vélo est à la fois symbole de liberté et d’émancipation. Chez l’enfant c’est une première étape vers l’autonomie entre équilibre à trouver, peur à dépasser et découverte de nouveaux horizons.
Du vélocipède à la bicyclette
D’abord un loisir plus qu’un véritable moyen de transport, c’est en Europe au cours du XIXe siècle que le vélo a pris son essor. Né sans pédales et sans freins, le premier modèle voit le jour en 1817 avec la « draisienne » de l’allemand Karl Drais, breveté en France sous l’appellation vélocipède ou « machine à courir ».
Ce nouveau moyen de locomotion fascine mais l’engouement retombe assez vite. Lourd et peu maniable son usage est limité. Cependant, l’intérêt est là et nombreux sont ceux qui tentent d’améliorer l’invention initiale. Train de direction, cadre, selle, roues, balancier ont été passés en revue. Pendant une trentaine d’année les modèles se multiplient, tantôt en bois puis en acier, sans trouver de solution idéale.
Dans la seconde moitié du XIXe, l’arrivée des leviers (initiés par l’écossais McMillan) puis des pédales (brevetées par le constructeur de voiture français Michaux père et fils), vient révolutionner la pratique. Dans la foulée, l’anglais Smith Starley (créateur du Grand-Bi) dépose un brevet pour la roue en acier indéformable. Le caoutchouc, qui a révolutionné de nombreux domaines industriels, s’invite dans celui de la bicyclette. À la fin du XIXe siècle, le pneu vient habiller les roues, apportant le confort qu’il manquait encore à la pratique. Quant au frein, il met du temps à voir le jour et à être accepté mais l’invention de la roue-libre le rend vite indispensable.
À force de petites et grandes découvertes, le vélocipède est devenu un véhicule fiable et maniable : plus sa pratique est sécurisée, plus les usages se diversifient.
L’évolution des usages
Entre bicycles, monocycles, tricycles, quadricycles, il y en a pour tous, à tous les prix et pour tous les usages. Les routes devenant également plus praticables, l’accès aux grands cols alpins ou pyrénéens favorise le tourisme et la pratique sportive.
En 1903, le premier Tour de France voit le jour avec des bicyclettes d’environ 13 kgs et dépourvues de changement de vitesse (le dérailleur n’est autorisé qu’à partir de 1937). Très vite, le potentiel économique de la compétition attire les investisseurs et l’évolution du vélo de course se corrèle avec l’émergence des grandes marques et des héros du cyclisme professionnel. À la recherche de légèreté pour plus de rapidité, les constructeurs se tournent vers de nouveaux matériaux (aluminium, titane puis fibre de carbone) pour atteindre un poids proche des 7 kgs. Les progrès techniques ont été fulgurants et se sont répercutés sur les vélos destinés au grand public.
En 1910 les bicyclettes « utilitaires » se développent et s’agrémentent de paniers, sacoches, béquilles... Ce sont les vélos de route d’aujourd’hui dont l’usage est plus pratique que sportif.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’expansion des véhicules motorisés (mobylettes et automobiles) détrône vélos et transports en commun. Le leitmotiv des politiques urbaines est d’adapter la ville à la voiture et les déplacements en vélo redeviennent contraignants.
Le vélo tout terrain débarque des États-Unis dans les années 1970 et marque le rebond du vélo. Les décennies suivantes sont l’ère du VTT et du BMX dont la physionomie est proche des motos. On les croise sur les chemins forestiers ou sur les pistes et skate-parks créés pour les courses et démonstrations acrobatiques.
La bicyclette redore son blason au XXIe siècle avec les systèmes de vélos libre-service dans les grandes métropoles et le réaménagement urbain qu’implique l’expansion des pistes cyclables. Face au dilemme écologique, certaines villes tentent effectivement de redonner sa place au vélo, véhicule non polluant dont la circulation est plus fluide et le stationnement plus flexible qu’en voiture.
Par ailleurs, le cyclotourisme s’invite au programme des vacances avec le développement des véloroutes. C’est en 1997, qu’est créée la première « Voie verte » française, sur le cheminement d’une ancienne voie ferrée entre Cluny et Châlon-sur-Saône. Beaucoup d’autres ont suivi depuis, telles que la ViaRhona et la Vélodyssé, partie française de la véloroute européenne l’Eurovélo 1.
Mais qu’est-ce qui fait courir les cyclistes ?
Qui ne s’est jamais questionné face aux incontournables cyclistes du dimanche matin, seuls ou en troupeau qui fusent sur la route, par tous les temps ? Face aux VTT qui foncent sur les sentiers cahoteux ? Face à la résilience des cyclistes professionnel(le)s, pour qui le vélo est une prolongation de leur être ?
D’un côté, le défi d’un obstacle à surmonter, d’une voltige à maîtriser sur son destrier d’acier en anime plus d’un(e). De l’autre, des cyclistes qui sont prêt(e)s à tout pour dépasser les limites de leur corps ; tel Icare, quitte à s’en brûler les ailes.
En juillet, pendant le Tour de France, on observe le peloton se tendre et se distendre sur l’asphalte, tel un essaim d’abeille ; ne laissant dans son sillage qu’un vrombissement fugace qui s’éteint lentement dans le paysage déjà vidé de leur présence.
« Essaim de loin, meute en son sein !» vous diront les cyclistes professionnels qui savent bien que la vie du peloton est celle d’une meute de loups. Ils évoluent en équipe mais c’est la compétition et la performance individuelle qui les anime. Leader, grimpeur, rouleur ou sprinter, selon le profil, l’étape d’un jour ne sera pas celle du lendemain. D’autant qu’à cela il faut rajouter le mental et les conditions météo parfois changeantes !
Les coureurs cyclistes sont d’éternels insatisfaits. Guillaume Martin (coureur cycliste professionnel et diplômé d’un master de philosophie) et Olivier Haralambon (philosophe et ancien coureur cycliste) l’expliquent ainsi : stratèges et sportifs, ils courent après la victoire… mais quand ils l’ont atteinte, ils n’ont plus d’étoile à décrocher. Il faut alors trouver d’autres objectifs. C’est un challenge sans fin avec soi-même qui se joue, un défi qui va au-delà du sacre, quitte à biaiser la compétition avec les autres coureurs.
On entend parfois parler de l’extase du coureur de fond pour désigner cet état singulier quand le rythme et la fatigue rendent le coureur tout à la fois calme et euphorique. Socrate à vélo – Guillaume Martin