Écrivain à 3 TempsCarole Martinez & Marjolaine Salvador Morel
Pour réécouter la rencontre avec Marjolaine Salvador Morel
Ce cycle d’Écrivain à 3 temps se poursuit en présence de Marjolaine Salvador Morel, artiste dentellière dont les œuvres ont été exposées en amont de la rencontre à la Médiathèque de Roanne. Cette artiste plasticienne qui revisite la dentelle à l’aiguille a été formée à l'Atelier National du point d'Alençon. Elle est également meilleur ouvrier de France en dessin pour dentelle.
Inviter Marjolaine Salvador Morel était une évidence pour Carole Martinez. Depuis leur première rencontre lors de la promotion du roman le cœur cousu, l’autrice déclare “être tombée sous le charme” de l’artiste avant même d’avoir vu son œuvre. Par la suite, elle raconte avoir vu son travail pour la première fois à Bayeux et avoir été portée par l’extrême délicatesse et la puissance de son œuvre mais aussi par sa singularité.
Son univers est une œuvre d’art - Carole Martinez
Marjolaine Salvador Morel a réalisé de nombreuses expositions : au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle d’Alençon, à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais ou encore dans de nombreuses galeries. Elle les compare à des rêves qu’elle pensait inaccessibles car sa mère étant dentellière, “une maman araignée”, elle pensait que la dentelle relevait seulement de cette histoire familiale. L’artiste raconte par la suite avoir appris la dentelle au fuseau dès l’âge de six ans, en même temps qu’elle apprenait à lire et à écrire, et précise qu’elle considère donc cet art comme sa langue maternelle. Cependant, à l’adolescence, elle ne voulait plus entendre parler de dentelle et souhaitait devenir designer pour bijoux. Mais la dentelle, toujours, revenait frapper à sa porte. Plus tard, le travail de sa mère, Mylène Salvador, maître d’art en dentelle au fuseau, lui a permis de côtoyer le monde de la haute couture et de croiser des artistes contemporains tels Jean-Michel Othoniel ou Annette Messager. C’est la rencontre avec Christian Lacroix qui lui a permis de prendre conscience que la dentelle pouvait être un art du présent. Alors, après avoir appris le point d’Alençon, Marjolaine se spécialise en dentelle à l’aiguille une technique qui lui apparaît proche du bijou.
Ce n’est pas à la nature de s’adapter mais à nous de nous adapter à la nature
L'artiste relie la dentelle à l’aiguille au vivant : lorsque l’on plante une graine, il faut attendre des années avant d’obtenir une fleur ou une plante, et c’est la même chose pour la dentelle, une forme de naissance à chaque fois. Marjolaine Salvador Morel assimile toujours à une naissance la création de ses sculptures. Elle précise que son art est guidé par un véritable abandon au vivant, s’étant elle-même construite à proximité de la nature, que ce soient les animaux, les végétaux ou l’humain. Selon elle, les styles d’art décoratif sont reconnaissables à leur façon de styliser la nature et aux motifs choisis. Cependant, ce qui l’intéresse ce n’est pas l’apparence du végétal mais la compréhension de la nature et ce qui est invisible à l’œil nu.
La thématique du jardin est revenue plusieurs fois depuis le début de la rencontre et notamment la cohabitation du monde végétal avec le travail du fil et de l’écrit. Carole Martinez rappelle qu'étymologiquement le mot texte vient du mot textile et que pendant des siècles c’était le fil et le textile qui étaient laissés aux femmes et surtout pas le texte écrit. Elle explique avoir eu l’impression d’une force plus importante du texte à partir du moment où elle a appris son lien avec le concret du textile. Ce dernier est d’origine végétale : lin, coton, papyrus. Or selon Carole Martinez, ces matières font le lien entre le papier, le livre, et le végétal. L'auteure a trouvé cette collusion magnifique et en a tiré une inspiration pour le personnage de Frasquita, l’héroïne-couturière du Cœur cousu.
Chaque sculpture n’est pas une fin en soi mais une expérience
Chaque exposition est une installation plutôt qu’une exposition pour Marjolaine Salvador Morel qui ressent la nécessité d’établir une relation forte avec le lieu : “j’ai besoin de me raconter une histoire”. Elle veut proposer “une danse” entre le lieu et les sculptures. En ce qui concerne la lumière, elle demande un minimum d’éclairage : si certaines sculptures ne sont pas bien visibles, ce n’est pas très grave. En fonction du temps, de la météo, elles ne seront pas perçues de la même manière. Si le soleil brille, elles vont “éclater”, si le temps est couvert et pluvieux, elles seront effacées. Ses œuvres racontent des histoires différentes en fonction des lieux dans lesquels elles sont exposées.
Chaque installation, chaque exposition, c’est une œuvre à part entière
Le choix de l’utilisation du fil de nylon non coloré pour réaliser ses sculptures est lié à une rencontre avec une femme aveugle qui voulait comprendre la technique du point d’Alençon. En effet, lors de cet échange, Marjolaine Salvador Morel a pris conscience de l’importance des cinq sens et de l’existence de sensibilités différentes selon les personnes. C’est comme cela que le fil transparent est arrivé : elle a voulu rendre le monde invisible aux voyants et visible aux non-voyants. Cependant, prônant le vivant, elle a dû se réconcilier avec une matière utilisée pour pêcher et donc donner la mort, qui de plus n’est pas recyclée et est abandonnée dans les océans. Le nylon a tous les défauts du monde selon elle, mais il lui permet de travailler en volume !
Enfin, Carole Martinez évoque le domaine touffu de l’art contemporain dans lequel le rapport à l’argent prend une place essentielle. Elle interroge Marjolaine Salvador Morel sur son positionnement face à ce milieu investi par la dimension économique. “Je suis un être hybride car j’ai un pied dans les métiers d’art et un pied dans une expression contemporaine” lui répond Marjolaine. Ajoutant qu’elle ne comprenait initialement pas grand-chose à l’art contemporain dont les œuvres ne lui faisaient pas partager d’émotions, elle qui a besoin de ressentir les choses sans recevoir nécessairement d’explications. Mais, les rencontres avec les artistes cités précédemment, - Jean-Michel Othoniel, Christian Lacroix, Annette Messager -, lui ont donné des clefs pour y revenir. De plus, devenant professeur, elle a pris conscience de la nécessité de racines pour pouvoir s’élever et de l’importance d'une connaissance de l’histoire de l’art. Un décalage est néanmoins ressenti par Marjolaine, qui se trouve au carrefour de trois champs, l’art, les métiers d’art et l’artisanat. Pas toujours reconnue comme plasticienne puisqu’elle vient des métiers d’art, elle ne se voit pas non plus comme artisane.
Ce dialogue entre Carole Martinez et Marjolaine Salvador Morel aura permis d’évoquer le temps d’une rencontre le parcours de l’artiste dentellière ainsi que le lien entre le texte et le textile, deux supports de création et d’expression qui finalement ne sont pas si éloignés l’un de l’autre.
La prochaine et dernière rencontre de ce cycle d’Écrivain à 3 Temps aura lieu le samedi 9 décembre à 15h en présence de l’auteure et réalisatrice Murielle Magellan qui a écrit son premier roman en même temps que le cœur cousu. Elle a réalisé son premier long-métrage la page blanche adapté de la bande dessinée de Pénélope Bagieu en 2022 et a écrit de nombreux scénarios pour la télévision et le cinéma comme Les petits meurtres d’Agatha Christie (2008) ou encore Une famille à louer (2015). De plus, son dernier roman Changer le sens des rivières a été adapté cette année au cinéma par Jean-Pierre Améris sous le titre Marie-Line et son juge. Cette troisième rencontre sera donc l’occasion d’évoquer leurs parcours artistiques respectifs et le lien entre le travail de romancière et de scénariste.