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Présence et absence de la photographie
Le temps oublié et recréé de W. G. Sebald

L'auteur W.G.Sebald de dos dans un espace vert

W.G. Sebald

La littérature et l'image photographique témoignent d'un compagnonnage ancien, qui s'est vraiment ancré au début du XXe siècle. Les surréalistes, artistes du collage et de la juxtaposition, en ont usé, notamment André Breton dans Nadja et L'amour fou. Récits parcourus d'images de Paris, de portraits d'inconnues, ces oeuvres composites produisent un effet poétique, sollicitent l'imaginaire.

Au XXIe siècle, la part des romans et récits intégrant l'image photographique s'étend, en phase avec l'omniprésence des images dans notre monde actuel. C'est vrai pour le récit de voyage, le journal intime, les enquêtes historiques utilisant vraies ou fausses archives. Entre document et fiction, le lecteur est à la fois séduit et égaré par ces usages multiples du texte et de l'image.

Sebald ou la mélancolie à l'oeuvre

L'écrivain allemand W. G. Sebald a véritablement instauré un dialogue entre image et texte, faisant un usage de la photographie en littérature très personnel et novateur. Chez lui, la photographie n'est pas présente à titre d'illustration ou de témoignage, - elle n'est jamais légendée -, mais participe pleinement à la narration, à part égale avec le texte. S'il est décidé de ne pas lui conférer de valeur esthétique, son apparent aspect documentaire peut tromper. L'auteur joue de la recherche illusoire du vrai et de la preuve, sachant bien que l'image montre toujours autre chose du réel qu'elle représente.

Dans Vertiges, voyage littéraire à travers l'Europe sur les traces de Stendhal et Kafka, le grand marcheur qu'était Sebald ponctue ses errances géographiques et narratives de photographies en noir blanc de lieux, paysages, archives. De même, son roman Les anneaux de Saturne constitue un patchwork mélancolique d'images de paysages traversés, de souvenirs de lectures et de rencontres, fascinante architecture de mémoire.

La photographie instaure ainsi un rapport au temps bien particulier, ayant simultanément la faculté de montrer ce qui a disparu et de l'actualiser. Comme l'écrit Roland Barthes dans La chambre claire, la photographie est "l'image vivante d'une chose morte".

Présentation de l'œuvre de W.G. Sebald

L'œuvre de W. G. Sebald

 

La fiction photographique comme archéologie du 20e siècle

Les Emigrants, à la portée plus mémorielle, retrace l'existence de quatre expatriés que l'auteur a connus et constitue une oeuvre quasi testamentaire sur l'exil, émaillée de clichés de villes, groupes de personnes et objets du milieu du XXe siècle, traces d'un monde et d'êtres disparus auxquels l'oeuvre tente de donner vie. Les images sont réceptacles du souvenir, preuves de ce qui a existé et ouverture vers un mystère qui les dépasse.

L'oeuvre la plus émouvante de Sebald reste Austerlitz, histoire fictionnelle recomposée d'un homme à la recherche de ses propres origines, enfouies dans une enfance marquée du sceau de la guerre et de la déportation. L'auteur tente de reconstituer ce pan d'histoire par la composition de textes multiformes et d'images. Cependant, la confrontation avec l'image photographique et les archives, qui donne une portée à la fois historique et émouvante au récit, ne parvient pas toujours à réanimer le souvenir, à faire surgir ce qui manque, révélant l'aspect tragique de cette oeuvre poignante.

Jacquot Austerlitz, peut-on lire au dos, écrit de la main de ton grand-père... La photo était posée devant moi, dit Austerlitz,mais je n'osai pas y toucher... Je reconnaissais l'implantation inhabituelle des cheveux mais sinon tout en moi était effacé par le sentiment accablant qu'il s'agissait là d'un passé définitivement révolu.

Austerlitz est un combat contre l'oubli, celui qu'a connu toute une génération sacrifiée à la guerre, mais aussi une enquête littéraire où texte et images tentent de révéler un passé caché.

Reprendre le fil du temps

L'écrivaine Hélène Gaudy, pour qui la photographie est également essentielle, mais "en creux" puisqu'elle choisit de ne pas inclure dans ses récits les photographies qu'elle décrit, a rendu hommage à Sebald et à son personnage privé de passé dans le beau Une île, une forteresse, consacré au ghetto de Terezin, lieu où la mère de Jacques Austerlitz a trouvé la mort.

La fiction est là "pour donner une forme à ce qui ne pourra jamais ressusciter" déclare-t-elle à propos de Sebald, faisant de ce projet la ligne de son ouvrage le plus récent, Un monde sans rivage, paru en 2019. À partir des photographies découvertes sous la glace, parcellaires et spectrales, et dont aucune n'est montrée, Hélène Gaudy reconstitue le périple dramatique de l'expédition Andrée, trois scientifiques suédois ayant tenté en 1897 de joindre le pôle nord afin de le photographier du ciel et le cartographier. Elle dessine le processus de leur disparition progressive et pose une réflexion passionnante sur le rapport de l'image et de la création littéraire.

L'image prend toute la place. L'amorce d'un récit semble s'y tenir cachée, quelque chose en déborde, quelque chose d'inachevé, l'ébauche de trajectoires qui vont s'écrire à nouveau, à l'envers, puisqu'elle vient d'en devenir le nouveau point de départ. L'oeil est une plaque photographique qui se développe dans la mémoire. D'autres images résident, quelque part, entre la lentille et la trace.

Deux ouvrages d'Hélène Gaudy

Une île, une forteresse et Un monde sans rivage par Hélène Gaudy

Le désastre de l'expédition polaire de S. A. Andrée

S. A. Andrée et Knut Frænkel avec leur ballon écrasé sur la banquise

Photo du camp

Camp de fortune de l'expédition polaire de S. A. Andrée